• Bezonvaux et l'Abbaye de Juvigny

    On a vu précédemment que, dans une bulle datée de 1096, le pape Urbain II confirme la donation totale à l'abbaye bénédictine sise à Juvigny de plusieurs territoires dont ceux de Douaumont, Bezonvaux et Beaumont. L'origine de cette communauté remonte comme Bezonvaux aux Bosonides. Après son mariage avec le roi de France, Charles le Chauve, petit-fils de Charlemagne, Richilde devient très croyante. Elle voue une adoration particulière à sainte Scholastique, soeur jumelle de saint Benoît. Elle décide de créer un couvent de Bénédictines, patronné par cette sainte, sur un fief qu'elle tient de son père : Juvigny (d'où le nom donné postérieurement de Juvigny-les-Dames).
    Après la mise en oeuvre de la charte de 1252, signée par le comte de Bar, le seigneur de Bezonvaux et l'abbesse de Juvigny, la propriété directe de l'abbaye à Bezonvaux comprend une maison, une grange, une étable, un colombier, un jardin, une chènevière et des dépendances, le tout entouré de murs. Cette propriété est appelée « La Caution ». L'ensemble jouit de tous les privilèges et franchises de l'abbaye. Dans la charte mentionnée ci-dessus, le comte de Bar reconnaît qu'aucun seigneur n'a commandement ni sur les biens de l'abbaye ni sur les personnes y résidant. Même en cas de crime perpétré dans l'enceinte de celle-ci, le meurtrier ne peut être appréhendé sans la permission expresse de l'abbesse.

    Celle-ci a aussi les droits de haute, moyenne et basse justices pour Douaumont, Bezonvaux et Beaumont, mais le siège du tribunal se trouve à Bezonvaux, dans l'immeuble où est installé le four banal:

    « ... C'est un petit auditoire construit au dessus du four banal lequel héritage leur ( = les abbesses et religieuses de l'abbaye royale de Juvigny) appartient ; a lequel elles ont autrefois fait construire a leurs frais ... sans participation d'aucun autre. Pour marque de leur propriété et primauté il y a une pierre au dessus de la porte d'entrée sur laquelle étaient les armes en Sculpture en relief de feu Dame Scholastique Gabrielle de Livron Bourbonne cy devant abbesse de la ditte abbaye. Il y avait aussi dans l'intérieur un cadre de bois avec les empreintes sur une toile dé feu Dame Gabrielle Marie Delivron Bourbonne lorsque/le vivait aussi abbesse de la ditte abbaye. Lesquelles armes étaient attachées et posées au dessus du siege de leur prévot du dit lieu de Bezonvaux ... de plus les titres et les papiers de la ditte seigneurie ( = Bezonvaux), archives et registre du greffe y ( =dans l'auditoire) étant deposés dans une armoire ».

    A la suite d'un incident violent au cours duquel le comte François Cognon d'Haraucourt pénètre par la force dans cet immeuble et y commet des dégradations, ce coseigneur de Bezonvaux est amené en mai 1740 à reconnaître que « le dit auditoire appartient aux dittes dames pour avoir été construit à leurs frais ». Toujours dans le même lieu, un local à usage de prison, dont les clés sont détenues par le prévôt de l'abbaye, est aménagé en sous-sol. Quant aux amendes et redevances perçues dans tous les territoires relevant de l'abbaye, selon les cas, elles lui appartiennent en propre ou en reçoit le tiers. Pour la sanction des infractions graves existe un « signe patibulaire » , c'est-à-dire un gibet composé de deux piliers sans doute reliés par une poutre. Il est érigé en 1594 sur ordre de Jean de Triconville, prévôt d'Etain depuis 1591, avec l'accord de l'abbesse de Juvigny, suzeraine de l'emplacement. Le toponyme « La Potence », correspondant à celui-ci mais situé sur la commune d'Ornes (en limite de celle de Bezonvaux), s'est conservé jusqu'au XXe siècle et semble avoir disparu sur les relevés actuels. Pour la sanction de certaines infractions, un carcan est installé sur les terres bermes (terrain délaissé) près du cimetière ; il est encore en usage au XVIIe siècle. Le droit de basse justice s'appliquant sur Douaumont, Bezonvaux et Beaumont autorise la création d'une organisation comprenant un maire principal, le « droit maire », pour les trois villages, qui est en même temps maire d'un seul, ainsi que d'un maire pour chacun des deux autres (la désignation étant faite pour deux ans et le poste de « droit maire » passant successivement d'un village à l'autre), trois échevins et un greffier. Ces responsables prêtent serment devant le prévôt de l'abbaye et sont chargés notamment de veiller au respect de tous les droits seigneuriaux.

    Jusqu'à la Révolution, les charges suivantes pèsent sur les habitants des trois villages, exceptionnellement sur ceux de Bezonvaux seuls, au profit essentiel de l'abbaye de Juvigny :
    Taille Saint-Remy : le produit de cet impôt direct, payé par les rôturiers le jour de la fête correspondante (15 janvier), va pour un tiers à l'abbaye et les deux autres tiers au seigneur. Cette répartition est fixée par un arrêt de la cour de Nancy de 1615, se fondant sur la charte de 1252.
    Droits de Bourgeoisie : tous les « bourgeois » paient un impôt au terme de Noël ; le maire est tenu d'en rendre compte au receveur de l'abbaye qui prélève une partie pour lui ; le reste est partagé en trois parts dont la première va à la communauté.
    Cens seigneuriaux : cette redevance due par les exploitants de terres concédées est versée chaque année à Noël. Bezonvaux paie à l'abbaye 27 francs, 5 gros et 5 deniers. A titre de comparaison, la redevance de Douaumont s'élève à 27 gros, celle de Beaumont à 1 gros et 3 blancs.
    Cens de prés : dans les trois villages, chaque arpent de pré est frappé d'une redevance annuelle de 6 deniers. Elle est levée par le « droit maire » qui rend compte. Le premier tiers appartient à l'abbaye.
    Rente ordinaire des Arnould : cet impôt, dont l'assiette est inconnue, est prélevé à la suite d'une sentence prononcée par la cour du baillage de Saint-Mihiel en 1629. Bénéficiant en totalité à l'abbaye, son montant soit 17 francs, 1 gros et 2 blancs est payé, pour un an aux environs de Noël, par le seigneur et quatre particuliers.
    Redevance pour l'utilisation des fours banaux : les trois fours banaux (un par village) appartiennent seuls et en totalité à l'abbaye. Les habitants sont obligés d'y cuire « toutes leurs pâtes » contre un droit de tournage, payé au «fournier admodiateur » sous peine d'une amende de 5 francs. A noter que les villages sont tenus de procurer le combustible prélevé dans leurs bois d'aisance. Le fournier reverse chaque année, au terme de Noël, le montant des droits de tournage au percepteur de l'abbaye.
    Redevance pour l'utilisation obligatoire des moulins banaux (haut et bas) situés à Bezonvaux et servant aussi pour les habitants de Beaumont et Douaumont : sur les grains apportés, une taxe de mouture est prélevée et ceux qui s'affranchissent de l'obligation de passer par ces installations paient une amende. Le tiers des sommes ainsi récoltées est reversé annuellement à la communauté de Juvigny.
    Entrée de ville ou Bienvenue : toute personne s'installant dans un village doit payer un droit qui se monte à 9 francs, dont le tiers revient à l'abbaye.
    Oustrée de la perrière (adjudication d'une carrière au plus offrant) : le tiers du prix payé par l'adjudicataire est attribué à l'abbaye.
    Vente des arbres tombés : le tiers du prix de vente est versé à l'abbaye.
    Bois d'aisance : l'abbaye a le droit de prélever le bois nécessaire à ses besoins (chauffage, constructions, réparations) dans les forêts et parcelles boisées appartenant aux villages. Si ceux-ci vendent du bois, soit entre eux, soit à des particuliers, le tiers du prix de vente revient à l'abbaye.
    Corvées : tous ceux qui résident dans les villages, et spécialement en ce qui concerne Bezonvaux ceux de la rue « Sur le Dessus le Mont», sont obligés d'accomplir annuellement onze demi-journées de corvées, d'où le toponyme « Crouée » (corvée) attesté au XVIIIe siècle et disparu depuis. Chacun des réfractaires sera redevable de 6 blancs, qui, comme toutes les amendes, seront payés à l'abbaye.
    Jeux de quilles : lorsqu'il s'en pratique, le tiers des prix distribués aux gagnants au cours des parties appartient à l'abbaye.
    En tout état de cause, des nobles et des « gentils », choisis par les abbesses, ayant fait voeu de défendre la communauté dans ses droits, elles leur abandonnent les deux tiers de leurs redevances seigneuriales, sous réserve qu'ils ne se les approprient pas eux-mêmes et qu'ils respectent un décret de la cour de Metz du 23 janvier 1758, approuvé par la cour de Lorraine le 23 juillet 1760 et faisant référence à la charte de 1252 signée par le comte de Bar.