• Douaumont, Vaux puis Bezonvaux : La reconquête

    La situation dans la Somme permettant à l'armée française de dégager des moyens au profit de Verdun, la lutte un peu en sommeil sur ce front va reprendre. Pour les Allemands, les choses commencent à se gâter le 23 octobre, veille de l'attaque correspondant à la première victoire française sur le front de Verdun. A partir de là, il n'y aura plus vraiment de répit pour eux jusqu'au mois de décembre inclus.


    23 OCTOBRE-14 DECEMBRE : LES PREPARATIFS.

    Le 23 octobre, alors que se prépare le premier volet de la reconquête française devant Verdun, le bombardement français est important dans le Fond des Rousses, le Fond du Loup et la région d'Ornes. Les unités d'artillerie allemandes doivent être renforcées, mais aussi, dans la mesure du possible, changer de place pour éviter d'être anéanties. Ainsi, la 3./Fda.R. 41, en réserve à Arrancy-sur-Crusnes, est avancée entre Mangiennes et Azannes jusqu'à un endroit appelé le « coin allemand » (Deutsch-Eck), puis elle est engagée dans la nuit du 23 au 24 au sud-est de Bezonvaux. Le 24, jour de la reprise du fort de Douaumont, la 1./Fda.R. 41 essaie de se replier également au sud-est de Bezonvaux (deux pièces seulement parviennent à destination ; les deux autres sont récupérées respectivement le 26 et le 30 en raison des difficultés et des pertes dues à l'artillerie française) ; au cours de la même nuit du 23 au 24, la 4.JFda.R. 41 va se mettre en position, avec trois pièces, au sud-ouest du village. Autre exemple, après le 24, les batteries du R.Fda.R. 21 sont ramenées à l'est de la hauteur entre Bezonvaux et Ornes. Le 25, une mince ligne d'infanterie est placée en soutien dans le Fond du Loup. Le 27, le bombardement français est signalé comme particulièrement important dans ce ravin. Après la reconquête du fort de Douaumont le 24 octobre et l'occupation de celui de Vaux dans la nuit du 2 au 3 novembre, le commandement français n'a pas l'intention de s'en tenir là. Pour recouvrer l'intégrité de la position principale au nord-est de Verdun, il paraît nécessaire de reprendre le plateau d'Hardaumont. De plus, pour la mettre à l'abri d'une attaque par surprise, il faut lui rendre sa couverture naturelle : la ligne passant par la côte du Poivre, Louvemont, les Chambrettes et la cote 378, les pentes sud du plateau des Caurrières ainsi que Bezonvaux. Toutefois, de grandes difficultés vont compliquer la préparation de l'opération ; elles sont la conséquence de problèmes d'ordre matériel et de la mauvaise saison : les trous d'obus sont pleins d'eau et le terrain est impraticable. Pour assurer les mouvements, les déplacements d'artillerie et les ravitaillements, il faut aménager l'arrière immédiat, c'est-à-dire la zone conquise le 24 octobre, notamment en créant des pistes ; les travaux doivent être effectués dans la boue et sous les bombardements allemands.Dès le 3 novembre, le général Mangin, commandant le groupement DE (groupement de divisions sur la rive droite de la Meuse, entre le fleuve et le ruisseau de Tavannes), a estimé qu'il est nécessaire d'améliorer les positions conquises afin de rendre difficile voire impossible une reprise par les Allemands de combats importants ; au cours de cette attaque, les divisions françaises redresseront définitivement la situation sur la rive droite de la Meuse en portant les premières positions, à partir de Vacherauville (inclus), sur la ligne définie précédemment. Cette opération doit clôre victorieusement l'année 1916 à Verdun. Le 13, Mangin expose les avantages d'une action exécutée de la Meuse à la Woévre. Le 15, son chef, le général Nivelle, commandant la 2e armée (celle qui tient le front de Verdun), se range à ce point de vue et met à l'étude un plan d'engagement. L'ordre d'opérations définitif est arrêté le 2 décembre. Deux séries d'objectifs sont prévues : les premiers sont situés sur une ligne partant de Vacherauville et passant par Louvemont, la cote 378, la station de Vaux, la lisière orientale de ce village et son cimetière. La seconde série comprend notamment la cote 344, la route de Louvemont à la ferme des Chambrettes, Bezonvaux et son ouvrage. La préparation de l'artillerie française, commencée le 9 décembre, continue jusqu'au 15 à l'heure fixée pour l'attaque. En particulier, les mortiers de 220 mm et 370 mm ont pour mission l'écrasement d'une part des villages de Vacherauville et Louvemont, d'autre part des ouvrages d'Hardaumont, de Lorient et de Bezonvaux. Quatre divisions préparent l'opération, puis sont relevées les 13 et 14 décembre par celles qui vont l'exécuter : les 126° (général Muteau) pour le secteur baptisé Belleville, 38e (général Guyot de Salins) pour Margueritte, 3T (général Garnier-Duplessis) pour Douaumont, 133e surnommée « La Gauloise » (général Passaga) pour Marceau. La région de Bezonvaux doit être libérée par les deux dernières divisions : la 133e a pour objectifs le village et l'ouvrage de Bezonvaux. Derrière ces quatre divisions de 1 ligne, désignées pour attaquer, se tiennent en 2 ligne, quatre autres prêtes à les soutenir : les 123e,128e, 21e et 6e D.I. Les plans prévoient que les généraux commandant les 38, 37 et 133e D.I. disposent chacun d'un régiment des 128" 21e et 6e D.I.: les bataillons de ces régiments vont constituer des réserves de brigade ; en outre, le 22e R.A.C. de la 6e D.I. est mis à la disposition de la 133e D.I. L'opération doit être appuyée par 827 à 888 pièces d'artillerie.Entre-temps, il y a des mouvements de divisions françaises. La 37e D.I. est dans le secteur Douaumont, face à l'Est en direction de Bezonvaux, en octobre-novembre 1916. Le 26 octobre, la 9e D.I. a relevé la 133e D.I. dans le secteur Marceau, face au Nord-Est, également tournée vers Bezonvaux ; elle reste là jusqu'au 13 décembre, préparant la nouvelle attaque. A cette date, la 133 D.I. se prépare: les reconnaissances préparatoires sont faites. Ses troupes remontent en ligne le 13, dans le secteur Marceau, à la place de la 6e D.I. Au 321e R.I., le 5ème bataillon se place en dispositif d'attaque entre la route qui va du fort de Douaumont à l'ouvrage d'Hardaumont (à 200 mètres au nord-est de la jonction de cette route avec celle qui va du fort de Douaumont au village de Vaux) et le ravin de la Fausse-Côte (exclu). Le 6e bataillon se place à la crête surplombant ce ravin jusqu'à l'abri surplombant le ravin du Bazil, avec à sa droite le 102e B.C.P. Le 4 bataillon, qui a quitté les casernes Bévaux à Verdun à 18 h 30, vient prendre place en échelon, derrière les 5 et 6  qui occupent des parallèles de départ. Le 14, le 3e/401e R.I. subit des tirs de contre-préparation assez violents qui lui causent 11 tués et 25 blessés. Ils proviennent de batteries allemandes situées au nord/nord-est du ravin de la Fausse-Côte qui prennent d'enfilade les positions tenues par le régiment. Ordre est donné aux hommes de creuser des niches dans les parois des tranchées de manière à limiter les pertes. A la 37e D.I. qui se substitue à la 21 D.I., les unités se mettent en place entre le 12 et le 14. Dans la nuit du 14 au 15, le 3e régiment de zouaves (3e Zouaves) prend position avec ses bataillons échelonnés en profondeur ; le 3e régiment de tirailleurs (3e Tirailleurs) est à sa gauche et le 321e R.I. à sa droite. La nuit du 14 au 15 est très pénible. La neige qui est tombée a transformé en marais les trous d'obus et les éléments de tranchées. Le froid est piquant. L'artillerie française bombarde violemment les positions allemandes, quelquefois aussi celles de sa propre infanterie. Sur le Fond des Rousses, l'artillerie lourde allemande établit un barrage assez dense. Ailleurs, la réaction allemande est assez faible voire inexistante à partir de 20 heures. Au moment de l'attaque française, cinq divisions allemandes occupent le front entre Vacherauville et Bezonvaux : 14.R.D. de la Meuse à la route Bras-Louvemont, 39.I.D. de cette route à la carrière Albain, 10.I.D. de cette carrière à la cote 347 (1 km au sud des Chambrettes), 14.I.D. de cette cote matérialisée par le boyau appelé par les Français le boyau de Sofia, jusqu'à la tête du Fond du Loup, 39.bay.R.D. le massif d'Hardaumont. La 39.I.D. a déjà combattu successivement à Verdun et dans la Somme ; elle a été renvoyée sans bénéficier d'un repos une seconde fois à Verdun et le moral y est bas ; les 10. et 14.I.D., comprennent des éléments solides, toutefois elles sont fatiguées par un trop long séjour dans le secteur pénible de Douaumont (en outre, la 14.I.D. est amoindrie et ne comprend que 6 000 hommes) ; les 14.R.D. et 39.bay.R.D. sont des divisions médiocres, peu aguerries, la seconde étant composée d'hommes âgés et n'ayant qu'un effectif d'environ 2 500 hommes (nombre qui paraît faible). Ces cinq divisions en ligne sont susceptibles d'être soutenues dans les 24 heures par quatre autres, dont les G.E.D. et 4.I.D. placées en réserve sur l'arrière de ce front. Instruits par la cruelle épreuve du 24, les Allemands se sont préparés à résister et ont exécuté des travaux de défense. Ils ont déployé une grande activité pour créer de nouvelles lignes de défense, tout en améliorant les organisations existantes. Ils ont aménagé des positions à contre-pente et compartimenté méthodiquement le terrain de manière à briser l'élan de l'adversaire. Finalement, à la mi-décembre, avant que se déclenche la préparation d'artillerie française, le front allemand présente plus de consistance que celui du 24 octobre. Il comprend trois lignes de tranchées couvertes par des fils de fer : la 1e est fortement organisée de la Meuse au ravin du Helly, moins solide vers ce ravin, assez forte du ravin du Helly à la croupe d'Hardaumont (sur celle-ci, elle forme un véritable lacis de tranchées) ; la 2e est la position de couverture d'artillerie : courant à partir de Beaumont, par le ravin des Fosses ainsi que l'ouest/sud-ouest d'Ornes et finissant au sud de Bezonvaux, elle est presque achevée ; la 3 est plus en arrière. Au cours des semaines postérieures au 24, une pluie de projectiles s'abat sur Hardaumont, les abords de la route Ornes-Damloup, les batteries situées de part et d'autre de celle-ci ainsi qu'à l'est du village et de la ferme de Méraucourt jusqu'au bois du Breuil. Cette avalanche est faite de toutes sortes de calibres jusqu'au 220 mm. Ces tirs de destruction démolissent à peu près complètement la 1e position ; mais, les 2e et 3e ne subissent que des atteintes partielles. Au total, les obstacles à surmonter par les assaillants seront encore importants : plus sérieux que le 24 octobre. Au cours de la même période, le dispositif de l'artillerie allemande comprend cinq groupements de batteries en 1e ligne et deux de gros calibre en 2e ligne : selon les évaluations, 247 batteries ou 563 pièces, susceptibles d'agir lors de l'attaque. En particulier, au cours de décembre, le I./E.Fda.R. 45 (rattaché à la 4.I.D., une des divisions susceptibles d'intervenir) est en position à environ un kilomètre à vol d'oiseau à l'est de l'ouvrage de Bezonvaux, à hauteur du bois du Grand Chénas, entre la voie métrique et la route Ornes-Damloup.
    Les pièces tournées vers le Sud-Ouest (vers le fort de Vaux), reposent sur un sol marécageux. Les batteries passent aux ordres du groupement Vaux du Fda.R. 17 (le commandant de l'E.Fda.R. 45 exerçant le commandement de l'artillerie divisionnaire de la 4.I.D.). Le régiment passe ensuite aux ordres d'un groupement Wendelstein, avec le 11 /1.bay.Ldw.Fda.R.z. Les objectifs sont alors les tranchées au nord et à l'est du fort de Vaux ainsi que le ravin de Vaux. Le groupe reçoit des obus et subit des pertes. A partir du 14, il est bombardé intensivement. D'une manière générale, pendant la préparation d'artillerie française, toutes les batteries sont traitées par obus à gaz, les liaisons téléphoniques coupées et les transmissions optiques impossibles.

    15-16 DECEMBRE : LE SECOND VOLET DE LA PREMIERE BATAILLE OFFENSIVE DE VERDUN

    L'offensive des Français, déployée sur un front total de 10 kilomètres, commence véritablement le 15 à 7 heures sous un ciel nuageux. Leur préparation d'artillerie augmente sur tout le front d'attaque et devient bientôt, pour les Allemands, un « feu roulant » (Trommelfeuer). Celui-ci s'abat sur les positions d'infanterie avec notamment des obus explosifs ; sur celles de l'artillerie, les ravins où peuvent être défilées des réserves et les pistes de ravitaillement, il est réalisé surtout avec des projectiles à gaz. Les Allemands, qui n'ont pas été surpris, ripostent d'abord faiblement puis vigoureusement au bombardement adverse, au point que les pièces françaises semblent inférieures en nombre ; du côté français, les pertes sont importantes. L'action des unités prenant part à cette opération se déroule ainsi que suit. A la 133e D.I., le dispositif est le suivant : au centre, le 116 B.C.P. (avec le 102 B.C.P. devant lui), à gauche le 321e R.I., à droite le 401e R.I., à l'extrême droite (au-delà du 401e R.I. et en liaison avec lui) le 107 B.C.P. soutenu par une compagnie du 32 B.C.P. et, bien plus à l'Est, à hauteur du village de Vaux, le reste du bataillon. II est prévu que, dans un premier bond, les 5 et 6/321e R.I. se porteront à 1 400 mètres au-delà de la ligne fortifiée Carrières-Nord/Carrières-Sud. Ensuite, le 4e/321e doit attaquer le village de Bezonvaux, aidé par le 116 B.C.P. Pour éviter un trou entre la 37e et la 133 D.I., deux compagnies du 5 R.I. ont été mis à la disposition du 321e. Elles marcheront derrière la gauche du 5 bataillon de ce régiment, chaque compagnie à 150 mètres de distance de l'unité qui la précède et débordant à gauche. En arrivant sur la lère ligne à atteindre (ligne A : Carrières-Nord Carrières-Sud I ouvrage de Lorient ouvrage d'Hardaumont), elles creuseront une tranchée profonde formant crochet défensif à gauche.Le 116 B.C.P. progresse dès le départ en ordre parfait. Il atteint la crête Douaumont-ouvrage de Lorient où il se déploie sur un front de 500 mètres. L'ordre de poursuivre est donné à 11 h 20 et la crête est franchie à 12 h 10. Précédé par un barrage roulant d'artillerie, ce bataillon se porte alors à l'attaque de l'ouvrage de Bezonvaux, suivi du 6'/321e. Sa compagnie de droite, en liaison avec le 401e R.I., progresse par le boyau de Cologne qu'elle nettoie. Elle se rabat ensuite sur les pentes est de la croupe de Bezonvaux. La compagnie du centre marche sur l'ouvrage proprement dit, qu'elle atteint à 12 h 30. Elle engage un violent combat avec la garnison allemande qui se défend énergiquement ; elle n'en vient à bout qu'après l'emploi de grenades incendiaires : tous les coins et recoins sont fouillés, les abris nettoyés. Les prisonniers sont évacués vers l'arrière sous la conduite de chasseurs légèrement blessés. Dans l'ouvrage, il n'y a plus que des Français haletants, frémissants, exaltés. La compagnie de gauche du 116e B.C.P. fait face à de nombreux obstacles. A la tranchée de l'Yser, elle doit ralentir son mouvement, le 321 R.I. étant alors arrêté. Elle avance lentement, mètre par mètre, s'emparant à la grenade des abris constituant le camp de Hambourg (au sud-ouest de Bezonvaux), au prix de pertes sensibles. D'ailleurs, les détachements qui nettoient les camps installés dans les ravins se heurtent généralement à une résistance farouche. Dans le camp de Brême (ravin du Pré-Sud), le 401e R.I. capture seulement 70 prisonniers (par ailleurs, il détruit huit pièces). Dans ceux de Cologne (ravin de la Plume) et de Coblence (ravin du Muguet), le 107 B.C.P. fait plus de 600 prisonniers. Vers 14 h 30, les Allemands cherchent à s'infiltrer par le point faible existant entre deux compagnies du 116e B.C.P. : celle de gauche et celle du centre qui a occupé l'ouvrage de Bezonvaux. La situation devient critique pour les chasseurs. La compagnie du centre, en position devant l'ouvrage, doit tenir coûte que coûte en envisageant de se replier dans celui-ci en attendant d'être dégagée. Une section de mitrailleuses est placée sur le parapet ouest de l'ouvrage. Des tranchées sont rapidement creusées.En dépit des pertes sensibles enregistrées sur sa base de départ, le 321e R.I. sort à 10 heures de ses parallèles ; en particulier, le 5e bataillon a été gravement touché au point que son commandant a devancé de quelques minutes l'heure H fixée. Néanmoins, le régiment avance en ordre, précédé par un barrage roulant qui avance de 100 mètres toutes les 4 minutes. A 10 h 15, les prisonniers affluent vers l'arrière. A 10 h 15-10 h 30, un petit élément de la 1915 bataillon, constitué par un sous-lieutenant, un sergent et un soldat, escalade les pentes d'une des anciennes carrières constituant les Carrières-Sud ; les intéressés neutralisent un groupe de mitrailleurs allemands au moment où ceux-ci mettent une pièce en batterie. Ce premier obstacle étant éliminé, le même bataillon poursuit son avance, tandis que le 6 progresse irrésistiblement dans le Fond du Loup : à 10 h 30, il enlève la 2e ligne à atteindre (ligne B) dans sa zone d'action. Les prisonniers affluent. Le 4 est moins heureux : il éprouve de beaucoup plus grandes difficultés. Placé en deuxième échelon, il doit se porter à l'attaque du village de Bezonvaux. Or, à 12 h 30-13 heures, il est contraint de s'arrêter par des réseaux de barbelés intacts et le feu meurtrier de mitrailleuses postées dans la tranchée des Deux-Ponts, alors qu'à ce moment l'ouvrage de Bezonvaux ne lui paraît pas pris. La progression générale est donc ralentie.La 37 D.I. sort de ses tranchées à 10 heures. Sur l'ensemble de son dispositif, elle subit de lourdes pertes attribuées à la communication de renseignements aux Allemands par des déserteurs ; le bataillon de tête de son 2e Tirailleurs est décimé ; le colonel Gouvello, commandant la 74 brigade, est tué à son P.C. dans le ravin de Chambouillat. Les vagues s'avancent péniblement sur un terrain qui au départ est défoncé par les obus et s'améliore ensuite. Il est prévu que ce jour-là, en fin d'opérations, le 3' Zouaves s'emparera des crêtes situées au-delà de Bezonvaux et marquées par une ligne fortifiée appelée tranchée Bochemar, ainsi que du bois des Caurrières. Après un début de progression, le 1er/3e Zouaves est pris de flanc par le feu intense de mitrailleuses postées dans les Carrières-Nord. L'exploit d'un soldat qui, tirant avec son fusil-mitrailleur Chauchat Mle 1915 à la hanche, bondit sur les armes automatiques adverses, permet au bataillon de reprendre sa marche ; celles-ci sont emportées de haute lutte. A 12 heures, le premier objectif est atteint, mais la 74 brigade, à droite, est bloquée au bois de La Vauche tandis que la 73e, à gauche, atteint son second objectif, créant un décalage de 1 000 mètres entre les deux brigades. Un bataillon du 2e Zouaves s'est installé en échelon refusé face au Fond des Rousses où il se relie au 3 Zouaves. Pendant ce temps, le 5/3 Zouaves double le 1, mais il est arrêté 200 mètres plus loin par un feu violent alors que la nuit tombe. En raison des difficultés rencontrées au cours de sa marche, le 11 bataillon qui a dû traverser sous un feu infernal un terrain mouvant, presque infranchissable, n'est pas en mesure de se porter à l'attaque avant d'être regroupé pour monter une manoeuvre contre les centres de résistance qui ont arrêté le mouvement du 5e bataillon. En fin de soirée, des infiltrations allemandes dans l'Hermitage contraignent la 73e brigade en flèche à abandonner le bois des Caurrières. Ce soir-là, l'objectif fixé pour la division ne peut être occupé et celle-ci n'étaie pas ses voisines.Au total, la journée du 15 décembre s'achève sur un succès relatif, le second objectif n'étant atteint nulle part. Le mauvais temps a rendu la préparation moins efficace et le froid (-20°) fait souffrir les hommes.Tard dans la soirée, l'ordre vient de poursuivre le succès jusqu'aux objectifs fixés, notamment le village de Bezonvaux pour le 4e/321e R.I. A ce moment, le 5/321e R.I. occupe la 1er ligne à atteindre (ligne A), des Carrières-Nord à l'ouvrage d'Hardaumont sur une longueur de 400 mètres à partir des Carrières-Sud, et la 2e ligne à atteindre (ligne B), à 800 mètres en arrière, sur une longueur de 500 mètres. Le 6e/321e R.I. occupe la ligne A sur une longueur de 500 mètres de la droite du 5e bataillon à l'ouvrage de Lorient, la ligne B sur une longueur de 300 mètres à l'est de cette unité. Le 4e bataillon tient un front matérialisé par deux tranchées à 300 mètres en avant de la ligne B, soudé aux Zouaves à gauche et au 116e B.C.P. à droite. Deux compagnies du 5e R.I. et une C.M. reçoivent l'ordre de nettoyer le camp de Hambourg se trouvant entre ce bataillon et le 321e RA. Une compagnie du 5' R.I. est, en outre, donnée au 116e B.C.P. Après le nettoyage du camp, le 4 bataillon atteindra son objectif : Bezonvaux. Deux compagnies du 2/24e R.I., rattachées à la 37 D.I., sont mises sur la ligne A à la disposition des 5e et 6e/321e R.I. L'attaque doit avoir lieu le lendemain. A minuit, la 133 D.I. change les ordres. L'attaque du village aura lieu par surprise à 2 heures du matin. Elle sera menée par un groupement constitué sous les ordres du commandant Gatinet : 6/321e R.l. + 102e B.C.P. Ce bataillon doit marcher directement sur l'objectif et l'occuper. Le 6e le suivra, mais il fera face à gauche en arrivant à hauteur de l'ouvrage voisin, remontera le Fond du Loup et prendra à revers la tranchée de Deux-Ponts au sud-ouest de la localité. A ce moment, le 4 attaquera cette tranchée et s'y installera. En position finale, le 102e B.C.P. occupera Bezonvaux ou ce qu'il en reste, le 6/321e R.I. les pentes nord-ouest du village et le 4/321 R.I. la tranchée de Deux-Ponts. Le 2e/5e R.I. viendra remplacer les unités du bataillon Gatinet avant 2 heures du matin. Les deux compagnies du 24 R.I. demeureront sur la base de départ. Dans la nuit du 15 au 16, l'attaque recommence aussi à la gauche de la 133 D.I., à la 37e D.L, pour compléter les succès de la veille ; le mouvement en avant est exécuté entre 2 heures et 3 h 30. Le terrain de l'opération est un véritable bourbier.Au cours de sa progression, parvenu à hauteur de l'ouvrage de Bezonvaux, le 6e/321e R.I. pivote vers l'Ouest, franchissant le Fond du Loup. Ses 2e et 22e compagnies se rabattent brusquement sur la tranchée de Deux-Ponts qu'elles débordent au petit jour. Un dur combat commence contre un détachement allemand évalué à deux compagnies. Un sous-lieutenant accompagné d'un groupe d'hommes se précipite sur l'adversaire, abrégeant la lutte. Le bilan comprend deux cents prisonniers allemands, dont six officiers, des mitrailleuses, quatre lance-mines lourds et des munitions. La 23 compagnie entre alors en ligne ; le nettoyage est achevé à 7 h 50 et le bataillon descend dans le Fond des Rousses puis escalade ses pentes nord pour prêter main-forte aux Zouaves de la 37e D.I. et s'assurer la lisière nord de Bezonvaux, en maîtrisant la tranchée Bochemar. A 10 heures, la liaisonde ce 6e/321e R.I., qui a terminé son mouvement, est établie à droite avec le 102 B.C.P. qui est entré entre 8 et 9 heures dans Bezonvaux, aidé par deux compagnies du 24e R.1. A droite, le 6' est soudé à gauche aux Zouaves.Entre-temps, environ six cents prisonniers, capturés par le 102 B.C.P., encadrés par une trop faible escorte et n'ayant pas pu être conduits à l'arrière, réussissent à récupérer des armes ; ils se retranchent derrière des talus et ouvrent le feu dans le clos des Français. Le 3e Zouaves envoie des secours : un bataillon, arrivant dans le Fond des Rousses par le ravin d'Hassoule, déborde la tranchée de Weimar et détache une compagnie pour renforcer les chasseurs. Débordés à l'Est et à l'Ouest, cette tranchée et ses prolongements sont rapidement réduits. A 13 heures, le 2e/5e R.I. vient renforcer la ligne à droite du 102 B.C.P. à partir du village de Bezonvaux.Au 3 Zouaves, à 2 heures du matin, les 5e et 1er bataillons reprennent leur marche en avant ; ils vont tenter le nettoyage du Fond des Rousses par l'Ouest. Ils atteignent par la gauche un centre de résistance baptisé ouvrage de Lübeck par les Français : de nombreux prisonniers y sont capturés. Ces deux unités encerclent vers la droite la tranchée de Kaiserslautern protégée par un épais réseau de fils de fer intacts, où se trouvent plusieurs mitrailleuses. La 42e compagnie, commandée par un sous-lieutenant, doit s'en emparer. Une riposte des mitrailleuses françaises et une attaque de grenadiers emmenés par un adjudant fait tomber cette position. Toute la compagnie, entraînant avec elle une section de la 41e, se porte ensuite en avant. Elle participe à l'enlèvement de la tranchée de Deux-Ponts, atteint et dépasse Bezonvaux, revendiquant également la capture de 200 prisonniers. Quant aux hommes d'une compagnie du 102 B.C.P. bloquée étroitement dans le village même une soixantaine, ils poussent des cris de joie en voyant arriver leurs sauveurs. De la 42e compagnie, il ne reste aussi qu'une soixantaine d'hommes commandés par un sergent, qui continuent jusqu'à la tranchée Bochemar et l'occupent. Des renforts sont envoyés depuis le ravin d'Hassoule ; la position est tenue sur 600 mètres. A sa gauche, le 3e Tirailleurs, qui avait été arrêté par la tranchée de Weimar, atteint le bois des Caurrières.En fin d'après-midi tous les objectifs fixés sont atteints. L'ouvrage de Bezonvaux, repris la veille, a été dépassé vers l'Est, mais l'avance n'est pas allée jusqu'à la ferme de Méraucourt. Pendant toute la journée, l'artillerie a été très active des deux côtés.Sur ce qui s'est passé dans la nuit du 15 au 16, on dispose du récit anecdotique, rédigé par le lieutenant-colonel Picard, commandant le 321 R.I.25:

    « Nous sommes le 15 Décembre au soir. A minuit, l'ordre arrivait de prendre par surprise, dans la nuit même, la tranchée des Deux-Ponts et le village de Bezonvaux. Les difficultés étaient énormes : nuit opaque et neige abondante, troupes dispersées parle combat (du 15/12), connaissance à peu près nulle de la résistance ennemie. On me parlait d'envoyer deux compagnies ; on ne les eût jamais revues. Je téléphonai qu'il fallait au moins deux bataillons et j'organisai un groupement avec mon 6 bataillon et le 102 Chasseurs, sous le commandement du commandant Gatinet du 6' bataillon.A la réception de l'ordre, Gatinet me faisait dire que c'était absolument impossible et je crois bien qu'il avait raison. Mais il n'était plus temps de discuter: si nous laisssions l'ennemi se reprendre, c'était l'opération manquée et peut-être un repli d'une profondeur incalculable. Aussitôt j'écrivis er Gatinet : « L'honneur militaire est engagé ; vous êtes responsable de l'exécution ; à quelque prix que ce soit, il faut attaquer cette nuit ; il est 2 heures, je vous donne jusqu'à 5 heures ; mais c'est l'extrême limite ; vous m'en répondrez personnellement. ». Suivait le détail du coup de main, dont je vous fais grâce. Quelle nuit d'angoisse !Je vivrais cent ans que je me la rappellerais comme le pendant de ces atroces nuits du bois d'Ailly, en septembre 1914, en pleine forêt d'Apremont où, encerclé avec mon bataillon pendant trois jours et trois nuits, attaqué partout, je n'en sortais qu'à force de toupet et de chance aussi. Il en fut ici de même. Gatinet, qui est un brave, dit à ses officiers : « C'est une absurdité, mais à la guerre, l'absurde réussit quelquefois ; allons-y ! ». Pourquoi le Fritz, cette nuit même, évacua-t-il le camp de Hambourg et le village de Bezonvaux ? Nous ne le saurons probablement jamais. Quoi qu'il en soit, cette opération de nuit qui était la témérité même, l'audace la plus folle, s'exécuta avec des difficultés inouïes, mais réussit. La transmission des ordres avait pu se faire à travers la nuit, la neige et le bombardement. Qu'un seul coureur eût été atteint et tout s'écroulait. Dans les ravins, en pleine obscurité, tout s'ébranla, mais se disloqua plus ou moins en cours de route.Le commandant Gatinet se trouva tout seul avec 14 hommes, pendant trois heures, contre 200 Allemands qui tiraient de leurs abris, sans oser en sortir. Il vit entrer chez lui, dans un abri ancien contenant encore des 155 français, trois officiers allemands, dont l'un s'assit sur son revolver. Il se crut pris, mais l'officier commença en ces termes : « C'est vraiment malheureux, quand on est de l'active, d'être faits prisonniers, etc. ». Gatinet n'en écouta pas plus long. Comment ? C'étaient eux les prisonniers ? «Rocs» ! Dehors ! leur cria-t-il.Enfin, les compagnies arrivaient et les dégageaient. Au petit jour, le 4 bataillon (de Con tenson) s'emparait en la débordant, de/a tranchée des Deux-Ponts qui avait tenu toute la nuit ; la liaison s'établissait avec le commandant Florentin, du 102 Chasseurs, qui était entré dans le village de Bezonvaux et, ce qui achevait la victoire, le 3 Zouaves, sorti du bois des Caurrières, rabattait toute la troupe ennemie dans le Fond des Rousses où elle était prise en masse. Encore une fois, nous étions vainqueurs ».En ce qui concerne les éléments appartenant à trois des divisions de 2e ligne ayant participé à l'opération, en tant que réserve des brigades, des allusions y ont été faites auparavant. De manière plus détaillée, cette participation a été la suivante pour les 6 et 21e D.I.Le 2e/5e R.I. (6e D.I.), placé en renfort de la 133 D.I., progresse initialement en deuxième échelon. Il suit pendant trois kilomètres la 214 brigade en direction de Bezonvaux en subissant quelques pertes dues aux barrages ennemis. Ensuite, à hauteur des carrières, au sud de Bezonvaux, il passe en premier échelon, entre le 116 B.C.P. et le 321 R.I. Au cours de l'avance, une forte patrouille de la 7 compagnie attaque un nid de mitrailleuses et s'en empare. Dans la nuit du 15 au 16, le bataillon continue sa progression et, ultérieurement, participe à la prise de la localité.Le 2e/24e R.I. (6e D.I.) est également détaché auprès de la 133e D.I. Le 15, ses 5e et 7e compagnies participent très en arrière à la progression de la 2e vague. Ses 10e et 11e, qui sont restées pendant l'attaque aux environs du fort de Souville, sont portées dans la nuit du 15 au 16 dans le ravin de la Fausse-Côte. Puis, elles aident à occuper Bezonvaux en faisant des corvées de toutes sortes.Le 28e R.I. (6e D.I.) monte en ligne le 16 en passant à proximité de la caserne Marceau. Sa mission est d'occuper les ouvrages de Bezonvaux et d'Hardaumont ainsi que les ravins du Pré-Sud, du Muguet et de la Plume.Le 137 R.I. (21e D.I.), mis à la disposition de la 37e D.I. le 14, est également engagé sur le territoire de la commune de Bezonvaux. Le 16, le 2'/137e R.I. rattaché à la 73e brigade, reçoit à 1 heure du matin l'ordre de conduire une reconnaissance dans le Fond des Rousses avec le 5/12e Zouaves pour nettoyer ce ravin et permettre à la brigade de continuer son mouvement entamé la veille au soir. Le terrain est difficile, le ciel couvert. Le bataillon ne part qu'à 4 h 30 et arrive à la tranchée de Cobourg. Le bataillon de Zouaves est parti. Des patrouilles le retrouvent, mais il n'a pas pu effectuer la reconnaissance prévue parce que le ravin est occupé par les Allemands depuis 1 heure du matin. A 9 heures, la 5/137 R.I. est envoyée en soutien à gauche du bataillon de Zouaves occupant la tranchée de Chaume sur laquelle les Allemands mènent une contre-attaque. Les fusils-mitrailleurs des 6e et 7/137e R.I. occupent la tranchée de Cobourg et une autre au nord-ouest de celle-ci ; ils réussissent à empêcher la progression allemande dans le ravin des Fontenaux (partie ouest du Fond des Rousses, à hauteur des Fontaines de Fontenaux). A partir de 14 h 30, le 2/137e R.I. attaque en liaison avec ses voisins (à droite le 3e Zouaves, à gauche le 2e) ; dans la soirée, il est dans le bois des Caurrières.

    La fin heureuse de l'opération est saluée dans le « Verdun » de Jacques Péricard et « Les Armées Françaises dans la Grande Guerre » par l'appellation de « victoire de Louvemont-Bezonvaux », qui met en relief les deux points-clés de l'offensive française. Celle-ci a repoussé un peu le front allemand, sans leramener à l'emplacement qu'il occupait le 21 février 1916. Néanmoins, vers le Nord-Est, il est maintenant à 7 500 mètres de Verdun et 3 000 du fort de Douaumont, ce qui les met tous les deux à l'abri d'une attaque par surprise. Cette victoire se solde pour l'adversaire, uniquement pour les 15-16 décembre, par la perte de 25 000 hommes dont 18 000 pour l'infanterie. Le butin est important, comparable à celui de l'offensive du 24 octobre précédent : 11 387 prisonniers dont 284 officiers, 115 canons, 44 Minenwerfer, 107 mitrailleuses. Le communiqué du 18 décembre, publié par le général Mangin, fait état de 11 103 prisonniers, 115 canons pris ou détruits, plusieurs centaines de mitrailleuses et lance-mines récupérés. A la 37 D.I., le 3e Zouaves s'est emparé de 10 pièces d'artillerie, de 9 mitrailleuses, de dépôts de munitions et de plusieurs centaines de prisonniers. L'ordre du jour signé par le général Passaga, commandant la 133e D.I., en date du 17 décembre, fait état uniquement pour son unité de 3 000 prisonniers valides dont 103 officiers, 17 pièces de campagne, 27 de gros calibre, deux à grande puissance, plus de nombreux canons de tranchées et un matériel considérable. En ce qui le concerne, le 401e R.I. a récupéré 700 prisonniers des 1. et 5.bay.E.I.R., 11 pièces d'artillerie,8 mitrailleuses et un matériel important. Quant au 321 R.I., il a capturé 1 000 prisonniers et pris un important butin dont 20 canons, 30 Minenwerfer et 15 mitrailleuses. A propos des pièces abandonnées par les Allemands, un officier d'artillerie écrit dans ses « Carnets de guerre » le 12 février 1917 :« Belle journée presque printanière. Calme sur le front. Je vais reconnaître au ravin du Loup des batteries allemandes abandonnées. Il y a des canons de 150 et des Minnenwerfer. On va tâcher de les utiliser, bonne plaisanterie dont les Kaiserliches apprécieront la finesse ». 

    1916 : Bezonvaux dans la bataille de Verdun

    Attaques françaises à objectifs limités : front les 24 octobre ( matin ), 3 novembre et 16 décembre 1916, (la carte ci-dessus et celle de l'article suivant ne tiennent pas compte des légères modifications intervenues entre le 3 novembre et le 14 décembre )