• L'ouvrage d'intervalle

    L'ouvrage, lui aussi, a déjà été décrit précédemment. Jusqu'à l'attaque du 21 février 1916, il est épisodiquement occupé. En 1915, des bombardements s'abattent sur le plateau d'Hardaumont et la région avoisinante sans lui occasionner de dégâts. Si l'on se réfère à ce qu'a écrit l'historien Louis Madelin, mobilisé comme sous-officier de réserve au 44 R.I.T. puis affecté dans un état-major, ces bombardements perturbent la vie de ceux qui cantonnent dans l'ouvrage de Bezonvaux :

     « ... les 5 et 7 compagnies feront désormais leur exercice le matin, en raison des heures habituelles de bombardement des ouvrages de Bezonvaux et Hardaumont ».

    Les Allemands, qui occupent l'ouvrage le 26 février 1916, lui conservent l'appellation d'ouvrage d'intervalle (Zwischenwerk, Z.Werk ou Z.W.) et lui donnent quelquefois celle d'ouvrage en terre (Erdwerk). Ils laissent en place les protections des accès des abris mis en place par les Français (des avancées pare-éclats faites de troncs d'arbres, de planches et de sacs remplis de terre) et même la pancarte « Plutôt périr enterré que de se rendre », toujours accrochée en face de l'entrée de l'ouvrage. Dès son occupation, des états-majors viennent se mettre à l'abri dans celui-ci. Un poste de secours s'y installe également. A différentes époques, des réserves y séjournent : une compagnie dans l'ouvrage même et d'autres aux alentours dans des « trous de renard ». Le site sert, en outre, de relais pour les relèves, notamment pour celles venant de la région des Jumelles d'Ornes et se dirigeant vers le village de Vaux ainsi que la digue de l'étang proche (et inversement). Pour mars, on dispose d'un certain nombre d'informations. Le 10, l'état-major du R.I.R. 7 vient s'y loger. Il y trouve ses homologues des I.R. 24, Gr.R. 8 et R.I.R. 19. Tous les coins sont occupés et des téléphones de campagne sont installés partout. L'éclairage est réalisé par des lampes à acétylène. Les bataillons bivouaquent dans un creux situé à mi-pente. Le 11, les 1. et II./R.I.R.7 prennent la route Ornes-Damloup en direction de Vaux (le III./R.I.R. 7 se rendant au village de Vaux par la ferme de la Plume). Quant à l'état-major régimentaire, il quitte l'ouvrage où il s'était arrêté pour un emplacement de batterie permanent, construit avant la guerre et situé au nord-est de l'ouvrage d'Hardaumont. Le même jour, c'est l'état-major de l'I.R.60 qui vient s'installer dans l'ouvrage et le II./I.R. 60 y est mis en réserve (le III/I.R. 60 est en soutien dans l'ouvrage d'Hardaumont). Le 12 au matin, le II./I.R. 60 entreprend de creuser un boyau entre les deux ouvrages.

     

    Des sites particuliers sur la commune

    L'ouvrage de Bezonvaux (été ou automne 1916): le cliché, pris par un militaire de la 21.R.D., montre deux officiers entrant dans la cour par l'entrée dont on distingue la grille ainsi que le renfoncement destinée à protéger une sentinelle.

     

    Le 14, le travail est bien avancé. Le lendemain, le II./I.R. 60 passant en soutien, la tâche est reprise par le I.I.R. 60. Le 13, un poste optique communiquant avec la cote 307 est monté sur l'ouvrage, un dépôt du génie (Pionierpark) s'y installe et un renfermant 6 000 rations métalliques y est créé. Le même jour, un détachement de quatorze estafettes avec seize chevaux, appartenant au Jg.z.Pf.R.12 et subordonné à l'I.R.60, est mis en place à proximité de l'ouvrage. C'est le départ d'un relais d'estafettes montées passant par Ornes, le bois du Breuil, le Q.G. de la 121.I.D. et aboutissant à celui du V.R.K. à Vaudoncourt. Le 17, le lll./I.R. 60 y est mis en réserve et le 18 le I.I.R. 60 ; dans la nuit suivante, le régiment étant relevé par le R.I.R. 56, c'est le III./I.R. 60 qui revient en tant que réserve de la brigade (pendant que l'état-major régimentaire, le II./I.R. 60 et les mitrailleuses vont aux Jumelles d'Ornes). Naturellement, l'ouvrage est en permanence soumis aux tirs de l'artillerie française. En avril, l'occupation des abris par un ou plusieurs poste de secours et des états-majors est confirmée par le témoignage du chasseur Arndt (R. Jàg.Btl. 5): le 11, son bataillon monte en ligne dans le secteur de Vaux pour la seconde fois ; l'itinéraire suivi passe par le talus de l'ancienne voie ferrée d'intérérêt local puis l'unité gagne l'ouvrage de Bezonvaux. On dispose aussi du témoignage du Gr.R. 1 qui arrive sur ce site dans la nuit du 18 au 19. Le commandant de ce régiment, qui prend la responsabilité du secteur, trouve dans l'ouvrage des états-majors, des officiers de liaison, des estafettes, des téléphonistes, des ordonnances, etc. Un officier de cette unité est désigné pour mettre un semblant d'ordre dans cette pagaille. En particulier, il répartit les locaux et les espaces disponibles et fait construire des appentis. L'existence d'un poste de secours est également attesté par plusieurs photos, notamment par celle bien connue, datant d'avril 1916, sur laquelle on distingue un panneau avec l'inscription « Vers le poste de secours du R.I.R. 87 » (+ Zum + Truppenverbandplatz R.I.R. 87).
     

    Des sites particuliers sur la commune

    L'ouvrage de Bezonvaux (avril 1916) : la cour intérieur, à gauche, l'entrée de l'abri nord est protégée par un blindage de troncs d'arbres; au centre, une pancarte indique l'existence d'un poste de secours et le numéro de l'unité :
    " + Zum+ Truppenverbandplatz RIR 87 " .

     

    Le 21 mai vers 10 h 30, cinq obus à gaz s'abattent sur l'ouvrage (au total, une centaine tombe à la fois sur celui-ci et le Fond du Loup). Le Gr.R. 1 a des pertes : un officier et deux hommes meurent dans la nuit ; onze gazés sont évacués vers un hôpital. Dans l'été, le fonctionnement du poste de secours est encore attesté : c'est même un poste de secours principal relevant du niveau divisionnaire. En juillet, la San.K.17 y amène des blessés du R.I.R. 80. Le mois suivant, une division y installe un élément avancé qui dépend du poste de secours principal fonctionnant dans le bois du Breuil ; l'accueil des blessés se fait dans la cour de l'ouvrage, alors que celui-ci est bombardé constamment. Un des deux abris construits avant la guerre a été transformé en salle d'opérations où celles-ci sont réalisées dans une demi-obscurité ; l'autre est plein de blessés. Au cours de ce même mois d'août, le 4, la présence du R.I.R. 80 est également attestée dans l'ouvrage. Un bombardement intensif, et plus seulement sporadique, commence le 11 décembre. Le 14, l'artillerie française bouleverse l'ouvrage, démolissant les deux abris ; à 22 h 20, la station de transmission optique située à proximité est touchée. L'infanterie française occupe le site le 15 à 10 h 15, repoussant des éléments de la 39.bay.R.D. A certaines périodes, des batteries sont position¬nées sur les pentes aux alentours de l'ouvrage ; à une époque, des mortiers de 21 cm n'en sont distants que de 200 mètres environ. Celui-ci est situé sur un des itinéraires allant de la ferme de Méraucourt vers l'étang de Vaux ou en revenant. Depuis Ornes, les relèves empruntent le talus du chemin de fer à voie métrique, pour éviter la route de Bezonvaux bombardée, puis le chemin montant de cette route au sud du village jusqu'à l'ouvrage. Au-delà, elles ont le choix entre deux pistes : le « sentier de la mort » (Todespfad) menant vers Vaux à ne pas confondre avec le « chemin de la mort » partant de Bezonvaux en direction de Douaumont ou le « boyau des grenadiers » (Grenadiergraben), dénommé ainsi par le Gr.R. 1 et permettant de relier l'ouvrage au ravin des Grands Houyers (Jagow- ou Nord-Sud-Schlucht) ainsi qu'à l'ancienne voie métrique Vaux-Verdun. Près de l'ouvrage a été créé un petit cimetière où la plupart des corps sont enterrés dans une fosse commune, si possible en présence d'un aumônier. Les victimes du bombardement par obus à gaz du 21 mai y sont déposées. Après sa reprise par les Français, l'ouvrage demeure utilisable en dépit de son état. Sur les deux abris, l'un est complètement détruit, l'autre offre encore une relative couverture contre les projectiles de petits calibres. Il existe aussi une galerie souterraine intacte, creusée par les Allemands sous.la banquette de tir du côté sud, avec deux puits d'accès : un de chaque côté de l'entrée de l'ouvrage. Les banquettes de tir entourant celui-ci ne sont pas entièrement ruinées et il reste des éléments du réseau de fils de fer barbelés. 

     

    Des sites particuliers sur la commune

    L'ouvrage de Bezonvaux (1916) : au premier plan à droite, l'abri Sud-Est transformé en poste de secours ( au premier plan des brancars, des équipements et des armes récupérées sur les blessés) ; au centre et à gauche, des prisonniers français en attendant d'être conduits vers l'arrière; au fond l'entrée de l'abri Nord.

     

     

    Quant aux fortifications de campagne réalisées autour de l'ouvrage, elles n'ont pas été nivelées. L'ensemble, à condition d'être remis un peu en état, peut constituer un centre de résistance d'autant plus important qu'il domine la Woëvre et permet de surveiller, de jour, la première ligne française vers le Nord et l'Est. L'intérêt que présente cet ensemble n'échappe pas aux Allemands qui veulent savoir ce qui s'y passe : il est choisi comme objectif d'un certain nombre d'actions Pour les positions proches de l'ouvrage, certaines ont déjà été mentionnées : « 123 »,» Udine » et « Hermann ». Deux autres, visant plus particulièrement la redoute, méritent d'être relatées. La première, une reconnaissance offensive, a lieu dans la nuit du 26 au 27 août 1918. Une forte patrouille constituée de trois groupes du I./I.R. 177 parvient à s'infiltrer jusqu'au front nord-est de l'ouvrage. Articulés en deux groupes, les patrouilleurs observent l'importance des défenses accessoires, l'état des lieux ainsi que le volume de la garnison, puis réalisent des passages dans le réseau à plusieurs endroits et finissent par se faire repérer. La progression devient impossible en raison de la fusillade dont les patrouilleurs sont l'objet et du lancement d'artifices lumineux qui éclairent le terrain. Cependant, le repli n'est pas difficile car les Français n'engagent pas de poursuite. Vers 4 h 50, le détachement rejoint les lignes allemandes. La seconde opération, un coup de main, se déroule dans la nuit du 10 au 11 septembre.Auparavant, pendant quelques jours, près de Loison, un détachement de choc du même régiment, ayant un effectif conséquent et renforcé de mitrailleuses, s'entraîne à exécuter la mission qui lui a été fixée sous le nom de code d'« Hermann ». Le 11 après minuit, le détachement franchit les avant-postes allemands et s'avancent dans le no man's land marécageux qui va jusqu'au pied des Hauts-de-Meuse. Il peut sans encombre parvenir jusqu'au niveau de l'ouvrage. Ayant mis en place des couvertures latérales et une postérieure, il pénètre dans le réseau de fils de fer. Le but est de s'emparer d'un petit poste situé dans un élément de tranchée creusé sur le côté ouest de l'ouvrage et de récupérer des prisonniers en vue de les faire parler pour connaître l'importance de la garnison. En dépit des précautions prises pour franchir les obstacles et couper les fils, l'infiltration est décelée. Le détachement se replie sous le feu des Français qui lancent aussi des grenades, la poursuite de l'avance paraissant impossible. Toutefois, après un moment d'attente, une attaque est essayée par surprise contre les tranchées occupées par les défenseurs. Elle échoue et, finalement, les assaillants se retirent et regagnent leurs lignes avant l'aube.Aujourd'hui, compte tenu des bombardements, notamment de ceux préparatoires à l'attaque du 15 décembre 1916, l'ouvrage est complètement détruit. Pendant des décennies, il a été difficile à découvrir. Quelques travaux, préparatoires à un projet plus ambitieux, permettent de le visiter plus aisément ; d'autres devraient ultérieurement faciliter son accès au public.

    Des sites particuliers sur la commune

    L'ouvrage de Bezonvaux (2005) : vue partielle de l'abri Sud-Est