• L'après-guerre de Bezonvaux

    Autour du village détruit, dans ses ruines et dans celle de l'ouvrage, la nature reprend peu à peu ses droits. Des plantes sauvages et des arbustes envahissent râteaux et ravins. Le reboisement réglementé par la loi du 24 avril 1923 est effectué sous la direction des Eaux et Forêts, par des entreprises dont les ouvriers plantent des sapinières d'épicéas. Les « découvertes » sont forcément nombreuses ; c'est ainsi qu'en 1924, un garde des Eaux et Forêts retrouve, perdues dans les broussailles, aux environs de l'ancien moulin, les tombes de six soldats du 33e R.I.C. Trois sont identifiés : Adolphe Bernan (recrutement de Mende), Jean Castex (recrutement de Saint-Gaudens) et Charles Houillier (recrutement du Havre) ; ils sont morts le 9 novembre 1918. Autre exemple, en juillet-août 1927, sept corps sont découverts à Bezonvaux, dans ses environs et, le dernier, dans le Fond du Loup : Joseph Batteria (248e R.I., recrutement d'Ajaccio), Edmond Lecrosnier (321 R.I. + 15 décembre 1916, recrutement de Cherbourg), Raymond Boulasteix (53e R.I., + 23 septembre 1917, recrutement de Limoges), Jean-Baptiste Delaleux (recrutement de Cambrai), Jean Dionet (recrutement de Clermont-Ferrand) et un inconnu, ainsi que Léon [mile (recrutement de Nevers). Les restes de ces militaires sont transférés à la Nécropole nationale « Douaumont ». En 1926, une animation éphémère règne sur le site de Bezonvaux et les environs. Des ouvriers essentiellement des immigrés italiens - sont chargés d'effectuer des plantations d'arbres d'espèces résinueuses et en même temps de récupérer certains vestiges de la guerre. Quelques uns sont hébergés dans des baraquements, implantés en bordure de la route départementale venant d'Azannes et d'Ornes en direction de Damloup, entre l'emplacement où sera érigé le monument aux morts et le carrefour du chemin menant à la future chapelle. Une cantine fonctionne à leur profit : c'est la raison pour laquelle le recensement de 1926 indique que, cette année-là, il y a trois habitants à Bezonvaux : ce sont les tenanciers de cette cantine qui logent dans un baraquement en planches situé approximativement vers le coude de la route, au nord de l'emplacement ultérieur du monument aux morts. 1926 est donc un repère : avant, aucun habitant n'est déclaré ; ensuite, leur nombre varie de la manière suivante :1926 et 1927 3,1928 4, de 1929 à 1931 3, 1932 22, 1934 12, 1936 13. Les habitants recensés au cours des deux dernières années sont, de manière certaine, des étrangers. Les activités administratives les concernant sont assurées par l'instituteur-secrétaire de mairie de Dieppe-sous¬Douaumont, Henri Masson : ce service lui ouvre droit au versement d'une indemnité et au remboursement de ses frais pour se rendre à Bezonvaux. En 1936, ces étrangers se répartissent en deux familles : une italienne composée de huit personnes, dont cinq sont déclarés comme manoeuvres, une polonaise de cinq personnes, dont deux manoeuvres et une e cantinière » (sans doute la tenancière de la cantine déjà évoquée). Toutes ces personnes logent dans des baraquements en bordure de la route Ornes-Damloup ; en 1938, elles ne sont plus que dix. En outre, d'après des témoignages, deux familles sont installées dans la construction à usage mitai de gare, sise au niveau de la halte du chemin de fer à voie métrique : avant 1929 y habitait un couple avec des enfants et de 1929 à 1940 une famille également d'origine italienne, qui comprenait dix membres (certains étant employés comme ouvriers agricoles à Maucourt). Il y a lieu de se demander pourquoi les habitants de la gare n'ont pas été intégrés au recensement de ceux et celles qui habitaient sur le site de l'ancien village. A l'arrêt des hostilités, l'emplacement du cimetière de Bezonvaux est encore visible, mais il est bouleversé. Peu de tombes sont nettement identifiables. Le 12 mars 1929, Jean-Louis Melkior, ancien habitant de Bezonvaux demeurant alors à Bras, obtient l'autorisation de faire exhumer les corps de trois membres de sa famille : François Richier, Anne Lamorlette et Marie Joséphine Melkior, décédés respectivement en 1894, 1901 et 1903. Ces corps sont réinhumés au cimetière de Bras. Actuellement, dans l'enclos de la chapelle qui rappelle le site de l'ancien aître, existent encore le reste d'un monument funéraire enfoncé dans le sol ainsi que l'emplacement d'une tombe.

     

     

    Borne indiquant l'emplacement de la 1 ère ligne française, offerte par la
    " colonie du Sénégal " et implantée par le Tourning-Club de France en bordure de la route de Ornes-Damloup (2002)

     

    A l'écart des itinéraires officiels des pélerinages, ne bénéficiant apparemment d'aucun soutien, Bezonvaux ne fait l'objet d'aucune mesure de protection. Même la loi du 2 mai 1930, relative à la réorganisation de la protection des monuments naturels et des sites de caractère artistique, historique, scientifique, légendaire ou pittoresque, n'entraîne apparemment aucune conséquence, alors qu'elle est appliquée pour d'autres sites de la Zone rouge de Verdun : ni le village, ni l'ouvrage ne font l'objet d'une inscription sur l'inventaire prévu par cette loi puis d'un classement. Bien plus, les ruines sont utilisées pour fournir des matériaux. Des chemins sont ainsi empierrés dans lazone reboisée et des constructions nouvelles élevées dans les localités voisines notamment à Maucourt à partir de pierres récupérées dans l'ancien village. Cette manière de procéder aurait parfois été officielle ; cela aurait notamment été le cas dans les années 40 où de tels matériaux auraient été vendus par le service des Domaines. Cette récupération explique sans doute que les ruines visibles actuellement sont peu conséquentes. Pendant plusieurs années, l'emplacement du village n'est matérialisé que par une grande borne de granit, coiffée d'un casque et portant les inscriptions « Bezonvaux », « Ici fut repoussé l'envahisseur » et « Touring-Club de France Offerte par la colonie du Sénégal ». Comme toutes les bornes semblables, elle marque la position des premières lignes françaises en 1918, avant les opérations ayant conduit jusqu'au 11 novembre à la libération d'une partie de la zone occupée. Les bornes immédiatement voisines se trouvent vers le Sud au carrefour des routes Ornes¬Damloup/Vaux-Dieppe, vers le Nord en bordure de la route Louvemont-Ornes (au nord du champ de tir de la Wavrille).

     

    Bezonvaux, inauguration de la chapelle-abri ( 4 septembre 1932) : la fin de l'office.

     

    Néanmoins, l'Etat ayant versé à Bezonvaux des dommages de guerre, une partie de ces sommes est consacrée à l'édification d'un monument aux morts et d'une chapelle-abri commémorative. Le projet prend forme avec un courrier adressé par le préfet de la Meuse au sous-secrétaire d'Etat aux travaux publics et daté du 24 décembre 1930. Il y expose que plusieurs communes disparues du département et ne devant pas être reconstruites, sollicitent, en invoquant un précédent admis en Meurthe-et-Moselle, l'approbation d'un projet de construction d'une chapelle-abri à l'emplacement de leur ancienne église, afin de perpétuer le souvenir de la localité. Le 26 janvier 1931, le sous-secrétaire d'Etat autorise cette construction, le montant des travaux à effectuer étant imputé sur les indemnités de dommages de guerre disponibles. Un plan réalisé par le cabinet E. & M. Delangle, architectes à Verdun, est approuvé par le préfet de la Meuse le 9juin suivant ; un mois plus tard, c'est au tour du devis correspondant (déjà établi le 7 mars 1930) de recevoir l'accord de cette autorité. La chapelle est alors érigée ; sa première pierre est posée le 14 mars 1932 en présence de l'abbé Martin, curé d'Ornes et de Bezonvaux jusqu'en 1914. Entièrement en pierre de taille (dont le matériau vient de Génicourt), elle est construite sur l'emplacement de l'ancienne église, mais avec une orientation différente facilitant son accès. Elle a la forme d'une croix avec un chevet circulaire, sa façade évoquant deux mains jointes dans l'attitude de la prière. Décorée par des fresques de Lucien Lantier dont il ne reste que les principaux éléments, elle est éclairée latéralement par deux grands vitraux (baies cintrées mesurant 2,25 x 2,20 m) et, dans le choeur, par six petites baies hautes chacune de 1,35 m et larges de 0,60 m: ces huit oeuvres sont réalisées par l'atelier Gruber. Le vitrail de gauche est une « Scène religieuse sur Jeanne d'Arc », celui de droite une « Scène patriotique sur la guerre 1914-1918 ». Cette baie évoque une relève de troupes après la reprise de Bezonvaux par les Français, les 15-16 décembre 1916, et les uniformes kaki moutarde qu'on y distingue rappellent la participation du 3e Zouaves à cette opération. Les six petites baies représentent des personnages en pied, c'est-à-dire les saints suivants : Gilles, le patron de Bezonvaux, accompagné de sa biche, Sébastien, Joseph, Jean-Baptiste, Louis et Marcel. A l'entrée de la chapelle, un porche ouvert est séparé de celle-ci par une belle grille en fer forgé, oeuvre du ferronnier Serra. Un fin clocheton surmonte l'ensemble. A côté de la chapelle, un grand calvaire remplace les croix de l'aître, le cimetière qui entourait l'église, dont peu de vestiges ont été retrouvés. La chapelle est inaugurée le dimanche 4 septembre 1932, en même temps que le monument aux morts.

     

    Bezonvaux : inauguration de la chapelle-abri ( 4 septembre 1932 ) : la
    photo-souvenir devant la chapelle.


    A la cérémonie assistent 200 personnes, amenées par autocars et voitures particulières. Des « anciens » de Bezonvaux, parfois venus de loin du Massif central, de la Haute-Savoie, de Marseille, etc, ont fait le déplacement. Parmi ces pélerins, certains comme Germaine Marchal et sa mère n'étaient jamais revenues à Bezonvaux depuis leur départ et ne parviennent pas à identifier les restes du village (à noter qu'à l'occasion de ce pèlerinage, Germaine fera la connaissance de son futur mari, originaire d'Ornes). Les personnalités présentes à côté de Jean-François Trouslard, président de la commission municipale de Bezonvaux, et des deux membres de cette commission, sont le sénateur Lecourtier, le député Schleiter, le conseiller d'arrondissement Hazard, un des deux architectes Delangle, le peintre Lantier, l'abbé Martin et les maires des communes limitrophes.

     

    Bezonvaux, inauguration du monument aux morts ( 4 septembre 1932 ) : 
    la photo-souvenir près la cérémonie.


    Cinq cimetières provisoires sont attestés à Bezonvaux et dans les environs : un français ouvert en 1917 près du P.C. Alsace/Carrières Sud (correspondant à l'ambulance française installée à proximité), un dans le bois des Caurrières (créé peut-être après la guerre), trois pour les soldats allemands enterrés à la hâte au cours du conflit ou découverts après la guerre : dans le jardin du « château » (poste de secours dans les caves de celui-ci), près de la ferme de Méraucourt (poste de secours dans un abri sanitaire aménagé sous la ferme) et à proximité de l'ouvrage (poste de secours dans les abris de celui-ci). Le cimetière du P.C. Alsace/Carrières Sud a dû être supprimé en 1931/32, période correspondant à l'exhumation d'au moins onze corps transférés de ce site à la Nécropole nationale « Douaumont ». Longtemps après cette opération, les croix encore munies de leur plaque et correspondant aux tombes vides de trois militaires français du 119 R.I., tués le 23 décembre 1916 (les soldats Alfred Decomis, Albert Hue et Emile Legendre), sont restées en place : leur existence s'est traduite par l'indication d'un signe conventionnel (une croix) sur certaines cartes. Quant aux cimetières allemands, ils sont supprimés après le transfert des restes dans les nécropole d'Azannes II, de Ville-devant-Chaumont et d'Hautecourt. D'autres sépultures allemandes ont été relevées sur le territoire de Bezonvaux ; il semble que les corps aient été ramenés de ces différents lieux d'exhumation à Ville-devant-Chaumont au cours de l'année 1934. Actuellement, seuls 28 corps identifiés, provenant de divers endroits de la commune de Bezonvaux, sont répertoriés : 7 à Azannes II, 19 de Ville-devant-Chaumont dont 7 provenant des environs de l'ouvrage de Bezonvaux, 2 à Hautecourt. S'agissant des Français disparus, la mémoire de certains est honorée par l'inscription de leurs noms sur les piliers ou la voûte de l'Ossuaire de Douaumont, par exemple : Auguste Delprat (116 B.C.P., + 15 décembre 1916, Bezonvaux), Jacques Depigny (aspirant 320 R.I., + 14 septembre 1917, bois des Caurrières), Joany Dimet (caporal 5e R.I., + 6 octobre 1917, bois des Caurrières), André Faletti (lieutenant 2e Zouaves, bois des Caurrières), Alphonse Guiot (151 R.I., + 26 août 1917, bois des Caurrières), Marcel Mouret (151 R.I., + 31 août 1917, Bezonvaux), Paul Mihiere (2e Zouaves, + 15 décembre 1916, Bezonvaux), Emile Sigaud (2e Zouaves, + 15 décembre 1916, Bezonvaux), Georges Vercheval (320 R.I., + 14 septembre 1917, bois des Caurrières). 

     

    Voie ferée d'intêret local (Société Générale des Chemins de Fer Economiques) : la rame est composée de wagons venant d'une part de Montmédy, d'autre part de Commercy. Passant à hauteur de l'ossuaire en construction, elle se dirige vers Verdun (1927). 


    En ce qui concerne le chemin de fer à voie métrique, sa remise en état commence au début de 1919, à raison de 100 mètres par jour en moyenne. L'ensemble de la ligne Verdun-Montmédy/Verdun¬Commercy est terminé à la mi-juillet 1920. La halte de Bezonvaux est reconstruite et un logement est même prévu pour un employé. Mais, celui-ci ne sera jamais affecté et ce logement est loué à des particuliers qui, pour autant, ne semblent pas comptabilisés comme des habitants de Bezonvaux. Le trafic reprend aussitôt en étant sécurisé par l'installation du téléphone qui permet de suivre la progression des trains. Sur l'ensemble de la ligne, la fréquentation est de 290 000 voyageurs en 1920, 342 000 en 1922. En raison du développement des transports automobiles, elle diminue de moitié dans les années suivantes et tombe à 41 000 usagers en 1938. Le tonnage de marchandises transportées connaît la même évolution : il atteint 173 000 tonnes en 1922 et n'en représente plus que 2 500 en 1938.