• La seconde Guerre Mondiale

    Après ce qui s'est passé de 1914 à 1918, beaucoup pensaient que ce conflit mondial serait la « der des der ». On sait qu'il n'en fut rien, que des hostilités débutèrent le 1er septembre 1939 en Pologne et que la France ainsi que la Grande-Bretagne déclarèrent la guerre à l'Allemagne deux jours plus tard. Jusqu'au printemps 1940, aucun fait notable ne concerne Bezonvaux. La capacité réduite d'hébergement et l'état des terrains sur la commune n'intéresse sans doute pas les autorités militaires pour y faire séjourner des unités, notamment pour une période d'instruction. On relève simplement que, de janvier à avril de cette année, la 638 compagnie du 15e régiment du génie, stationnée à Vaux, transforme la voie métrique inutilisée depuis 1938 en voie de 0,60 m. L'opération est effectuée de Verdun à Vaux et poussée de Vaux à Damvillers d'un côté, de Vaux à Eix-Abaucourt de l'autre, par ripage d'une des files de rails.

    Un peu plus tard en 1940 puis en 1944, le territoire de la commune n'est pourtant pas épargné par ce nouveau conflit.

  • Le 10 mai 1940, la « drôle de guerre » se termine par le déclenchement d'une importante offensive allemande vers l'Ouest. Le 16 mai, lors d'un raid aérien allemand sur un objectif inconnu, une bombe tombant à proximité de la chapelle de Bezonvaux lui cause des dommages, heureusement sans importance. C'est, somme toute, un incident mineur par rapport au drame qui va se jouer quelques semaines plus tard.

    LE PRELUDE : L'ABANDON DE LA LIGNE MAGINOT

    A cette époque de la guerre, les fortifications permanentes ou de campagne du Secteur Fortifié de Montmédy (S.F.M.), qui est une extension vers l'Ouest de la Ligne Maginot, sont toujours occupés par des troupes de forteresse. Sous les ordres du général Burtaire dont le P.C. est à Stenay, elles occupent des positions allant de Villy-la-Ferté à Longuyon, lesquelles incluent la Tête de Pont de Montmédy (T.P.M.), la partie la plus solide du S.F.M. Le S.F.M. entre dans la bataille le 13 mai. Environ un mois après, la situation a évolué très défavorablement. Le 8 juin, le S.F.M. est supprimé et le général Burtaire est nommé à la tête d'une division portant son nom division légère Burtaire (D.LB.) ou division motorisée Burtaire et composée essentiellement de troupes de forteresse. Elle est chargée de tenir non seulement les ouvrages et casemates ce qui était déjà sa mission, mais aussi les intervalles, d'où les unités qui les tenaient seront retirées le 10. Quant aux positions avancées, elles seront abandonnées. Ce jour-là, le général Burtaire est averti que le général Huntziger, commandant le groupe d'armées N° 4, vient de décider d'abandonner la T.P.M. qui risque d'être prise à revers. Les équipages des ouvrages et casemates ainsi que les unités tenant les intervalles vont donc abandonner la totalité des fortifications permanentes et de campagne de la T.P.M., mais aussi de celles du plateau de Marville. Après la réalisation de sabotages et de destructions, le mouvement commence le 11 et s'achève le 13. Toutes les garnisons des ouvrages et casemates prennent la route de Marville, puis elles poursuivent leur marche vers le Sud dans des conditions particulièrement pénibles. Le 13, la D.L.B. se replie sur une ligne nord-est de Bras/Hauts-de-Meuse vers l'Est. Le 14, elle est au nord de Verdun, sur une ligne entre la Meuse et le nord/nord-est de la ville. Le soir du 15, elle est au sud/sud-est de Verdun.

    BEZONVAUX 14 JUIN : LE PASSAGE D'EQUIPAGES DE LA T.P.M


    A la suite de la décision du général Huntziger d'abandonner la T.P.M., les équipages des ouvrages et casemates constituent des détachements. Pour l'ou¬vrage du Chesnois, le plus important de la T.P.M. et dont l'équipage appartient au 155' R.I.F., trois groupes sont formés. Le dernier à partir est celui commandé par le capitaine Aubert. Cet officier pense rejoindre les autres groupes à Marville. Lorsqu'il arrive dans cette bourgade, ceux-ci sont déjà partis. A 17 heures, il est à Damvillers où il reçoit l'ordre de rejoindre Romagne¬sous-les-Côtes en camions, avec comme objectif Bezonvaux où l'on rassemble les équipages. A Romagne, un officier de l'état-major de la D.L.B. fait distribuer des repas froids et annonce à Aubert qu'il lui faut repartir sur Bezonvaux où les équipages vont être regroupés. La colonne repart à 21 heures pour rejoindre son objectif. En passant à Ornes, Aubert retrouve les équipages de l'ensemble de Velosnes (132e R.I.F.) et de la casemate d'Avioth (136' R.I.F.), puis à Bezonvaux ceux appartenant au 155' R.I.F. des casemates de Margut, Moiry, Sainte-Marie et Sapogne. Le 14 à 1 h 30, tous ces éléments sont à Bezonvaux : ils ont parcouru environ 70 kilomètres ; la distance, les conditions du repli, le manque d'entraînement à la marche et l'âge de ces réservistes font que beaucoup sont épuisés. Pourtant, il faut poursuivre et Aubert reçoit l'ordre de rallier la côte du Poivre pour continuer vers le sud-est de Verdun. Lui-même, incapable de marcher, doit être placé dans un camion.

    BEZONVAUX 14-15 JUIN : UN COUP D'ARRÊT FRANCAIS


    Après le repli d'équipages de la T.P.M., qui concerne rapidement Bezonvaux, l'ancien village et ses environs sont le théâtre d'un engagement entre les Français et les Allemands.Le 14 juin 1940, le 132e R.LF., commandé par le lieutenant-colonel Blanchet, se replie depuis l'avant-veille, à partir du sous-secteur de Marville qu'il tenait. S'étant arrêté pendant quelques heures pour que les hommes se reposent, il reprend sa progression vers 3-4 heures du matin par Azannes, Ornes et Maucourt19. Entre 3 h 30 et 4 h 30, les gros des 132 et 136 R.I.F. refluent par cette première localité : ils sont en colonne de route car l'ennemi, maintenu par quelques éléments d'arrière-garde à 5 ou 6 kilomètres plus au Nord, n'exerce pas une forte pression. Le 132e R.I.F. s'arrête à nouveau près de l'étang de Vaux et sur les abords ouest de Bezonvaux : le 1e/132e R.I.F. au nord de Vaux, le 2e dans le bois d'Hardaumont jusqu'au ravin du Muguet, le 3 entre le ravin d'Hassoule et le Fond du Loup, le P.C. régimentaire au fort de Douaumont. C'est dans cette articulation que va avoir lieu une violente rencontre avec les Allemands, dont la progression est arrêtée jusqu'à la tombée de la nuit, la lutte ne se poursuivant pas dans l'obscurité. Le 132 R.I.F. est appuyé par deux pièces de la 607 batterie antichars, appartenant au 2e régiment d'artillerie coloniale (2e R.A.C.) et commandée par le capitaine Laugeri:
    «... le 13 à 17 heures je reçois l'ordre de me mettre à la disposition de la D.L.B.... (Le lendemain), à Bras je reçois l'ordre suivant: "La batterie anti-chars mettra ses sections à la disposition des régiments d'infanterie pour assurer la défense anti-chars - 1 section au 132 R.I.F.  1 section au 136R.I.F  1 section au 155 R.I.F. Désormais elles recevront leurs ordres directement des chefs sous les ordres desquels elles se trouveront placées pendant la manoeuvre en retraite" ... La batterie se trouve ainsi déployée entre la Meuse au Nord de Vacherauville et Bezonvaux ».
    En début d'après-midi, la division Burtaire organise une ligne défensive avec le 155e R.I.F. à l'ouest de la route Ornes-Bras, à hauteur du bois de Chaume, et le 132e à l'est de cette route jusqu'à Bezonvaux. Globalement, le terrain est favorable à une opération d'arrêt de l'adversaire. D'après des témoignages, les ruines de l'ancien village sont encore nettement visibles car la végétation est encore rare à cet endroit. Les 1er et 3e bataillons restent sur leurs positions ce dernier avec sa 3e compagnie d'Engins et de Fusiliers-Voltigeurs (3C.E.F.V.) à hauteur du Chemin du Loup. A 14 heures, un ordre prescrit au 2e/132e R.I.F. (chef de bataillon Cazal) d'installer sa Ligne Principale de Résistance (L.P.R.) à la lisière nord du bois des Caurrières, en détachant une section en avant-postes à la corne nord-est du bois de Chaume. Ce bataillon est avancé au nord du Fond des Rousses et son dispositif doit être le suivant : dans le bois des Caurrières, d'Ouest en Est, les 7 et 5 compagnies de mitrailleuses (C.M. 7, 5), un peu plus à l'Est, entre le lieu-dit La Potence et le Fond des Rousses la C.M. 6. De l'emplacement où elle s'était arrêtée en défensive à hauteur de la route Ornes-Damloup, au nord de la cote 258 (point coté sur la route, à hauteur du ravin du Muguet), cette unité élémentaire se déplace donc au nord du Fond des Rousses jusqu'au sud du lieu-dit La Potence. Elle s'étire au maximum vers l'Est et a des vues jusqu'à hauteur de la route Ornes-Damloup. Elle occupe ainsi, en fin d'après-midi, une pente boisée, à la végétation touffue, où elle est repérée avant d'avoir pu mettre en placecomplètement son dispositif et essuie un vif bombardement.Peu après 14 heures, le contact est pris avec des détachements allemands arrivant par la route d'Ornes. La confrontation va durer alors jusque tard dans la soirée selon le déroulement chronologique suivant :
    14h 25-14 h 35 : Une automitrailleuse allemande se présente sur la route Ornes-Bezonvaux, en face de la C.M.6. Elle est détruite par un canon antichar. La compagnie n'a pas de pertes.
    14h 40: Des éléments d'infanterie allemande se trouvent à portée de tir des armes automatiques du 132 R.I.F. Il y a des tentatives d'infiltration par petits groupes.
    14h 50 : Plusieurs colonnes adverses sont observées alors qu'elles progressent vers Bezonvaux. L'artillerie française ne tire pas. 15h 00: Un char léger allemand apparaît sur la route Ornes-Bezonvaux. II est détruit par un canon antichars et prend feu.
    16 h 00: Devant cette résistance, l'artillerie allemande intervient par de violents tirs de 105 mm sur les positions françd'ises. La section de transmissions du régiment vient de terminer de tirer une ligne téléphonique qui court du P.C. du 2 bataillon, dont l'emplacement est à la cote 350 (349,8), au nord du fort de Douaumont (champ de tir de la Wavrille), jusque sur les hauteurs de Bezonvaux. L'intensité du bombardement augmente ; celui-ci fait rage. L'adjudant-chef Nydegger (3' C.E.F.V.13e bataillon) est enterré par l'explosion d'un obus ; indemne, il se dégage. Le projectile lui tue 3 subordonnés : le sergent Leenens, le caporal Viet et le soldat Gillet, tous les trois affreusement mutilés. Ce drame a lieu en bordure du chemin qui part de Bezonvauxet monte à Douaumont (Chemin du Loup), à 500 mètres environ de l'unique maison existant alors à Bezonvaux, sans doute un des baraquements construits entre les deux guerres pour les ouvriers au carrefour de ce chemin et de la route Ornes¬Damloup.
    16 h 30: La tourelle de 75 mm du fort de Douaumont ouvre le feu ; elle tire sans arrêt jusque dans la soirée.
    18 h 00 : Après 18 heures, l'artillerie allemande reprend son tir qui dure jusqu'à 18 h 15.
    18 h 50 : Le bombardement violent recommence et cause des pertes. Le soldat Robin (C.M. 6), en position près de la route Ornes-Damloup, entend un camarade blessé qui se plaint. N'écoutant que son courage, il se précipite pour l'aider ; se découvrant, il est mortellement blessé.
    18 h 55 : Les 2 groupes de mortiers du bataillon exécutent des tirs sur des rassemblements allemands. Ces tirs se prolongent jusqu'à 20 h 30.
    19 h 05 : L'artillerie allemande exécute un tir mal réglé de 105 mm sur les arrières et le P.C. du 2e bataillon.
    19 h 15 : Les Allemands attaquent en force sur Bezonvaux. L'attaque est accompagnée d'un tir d'encagement ; il est exécuté à hauteur des unités de soutien françaises qui subissent des pertes. Celles qui sont assaillies résistent pendant une heure et demie. L'infanterie adverse cherche alors à s'infiltrer par les deux ailes. Plusieurs mitrailleuses françaises sont réduites au silence par des tirs de mortiers allemands. Leurs chefs de pièce et les servants sont tués ou blessés.
    20 h 15 : De nouveaux tirs de l'artillerie allemande se produisent. Ils détruisent un groupe de mortiers et un fusil-mitrailleur (personnels et matériels).
    20 h 30 : Une batterie de 75 mm entre en action. Jusqu'à présent, du côté français, hormis la tourelle de 75 mm de Douaumont, c'était des mortiers qui exécutaient des tirs sur les rassemblements adverses.
    20 h 35 : L'infiltration allemande s'accentue vers l'Ouest, ce qui oblige une partie des 7e et 5e compagnies de se replier de 300 mètres pour éviter un débordement.
     20 h 50 : Les chenillettes de la 2e C.E.F.V.12e bataillon ayant distribué toutes leurs munitions sont mises en marche pour être renvoyées à l'arrière. Le mouvement fait supposer aux Allemands que des chars sont devant eux. Ils marquent un temps d'arrêt.
    21 h00: Les Allemands ne progressent plus, néanmoins le commandant du 2e bataillon fait occuper un élément de tranchée un peu en arrière par le personnel de son P.C. Quelques coups de 105 mm, provenant de l'artillerie française, tombent à hauteur de la route Bezonvaux-Ornes.
    21 h 45: Devant la résistance de la C.M. 9/3e bataillon (capitaine de réserve Hu), l'infanterie allemande ne peut déboucher sur le plateau à l'est de Douaumont, offrant des vues sur le fort.
    22 h-22 h 15 : Un ordre de repli parvient aux com¬mandants des bataillons, qui le répercutent aux compagnies : le 1er peut l'exécuter sans difficultés ; le 3e parvient à se dégager avec peu de dommages ; le 2e exécute le mouvement sans la C.M. 6 : elle est isolée depuis le début de l'après-midi et il paraît qu'elle ne peut pas être jointe (ce qui est en contradiction avec le témoignage de son capitaine affirmant qu'il a reçu, à 23 h 30, confirmation de l'ordre de tenir sur place).
    23 h 00 : L'adjudant-chef Nydegger, qui se replie avec sa section, retrouve son commandant de compagnie (3e C.E.F.V.), le capitaine Veron, et lui fait un compte rendu.
    23 h 30: Le commandant de la C.M. 6 reçoit du commandant du 2e/132 R.I.E la confirmation de sa mission (tenir sur sa L.P.R.), malgré l'absence signalée des voisins.Sur ces événements, on dispose d'un autre éclairage grâce au témoignage du capitaine Laugeri, l'officier qui commande la batterie antichars:
    « (14 juin) A Bezonvaux la résistance subit, dans l'après-midi, de violents bombardements d'artillerie ennemie et repousse de furieuses attaques... (15 juin) J'apprends en outre par des officiers du régiment auquel la section du sous-lieutenant Bouille a été rattachée, que, sérieusement accroché à Bezon vaux et pris sous des tirs d'armes automatiques, le personnel de ce point d'appui n'avait pu ramener le matériel lourd. Vers 17 H.30, je croise sur la route Rupt-Génicourt le sous-lieutenant Bouillie qui, verbalement, me fait le compte rendu suivant : « Le 14 au matin je me suis présenté au colonel. Celui-ci m'a mis sous les ordres du chef de bataillon qui doit organiser un centre de résistance dans Bezon vaux et dans le bois à l'Ouest. Suivant la mission reçue, j'ai installé les deux pièces de 47 à deux cents mètres d'intervalle à la sortie nord de Bezonvaux qui n'est plus qu'un amas de ruines. Dans l'après-midi, peut-être vers 17 heures, j'ai vu des hommes qui descendaient en file indienne de part et d'autre de la route Gremilly-Bezonvaux. J'ai remarqué ensuite à la jumelle que ce n'était pas des Français. Je me suis inquiété de constater que notre infanterie ne bougeait pas. J'ai observé de nouveau à la jumelle et je me suis aperçu que c'était bien des Allemands. Ils étaient à 200 mètres, j'ai ouvert le feu. Deux auto-mitrailleuses ont été détruites avec le 47. Peu de temps après nous avons été bombardés. L'ennemi a tenté de nous déborder en s'infiltrant dans les bois, la lutte s'est poursuivie toujours plus âpre. Le point d'appui de Bezonvaux a tenu quoique sérieusement mitraillé. Vers 22 heures, j'ai reçu l'ordre du chef de bataillon de me replier. Impossible de ramener les pièces car, sous la mitraille, je ne pouvais songer à faire amener les avant-trains. Les hommes ont quitté la position un à un, un servant a été blessé. Le personnel de l'autre pièce et le brigadier de Vinais ne m'ont pas rejoint. A l'emplacement des avant-trains, je n'ai pas retrouvé les conducteurs. Je me suis donc replié avec les quelques hommes qui sont ici avec moi.Je lui demande de me faire un compte rendu détaillé sur les événements quise sont déroulés à Bezonvaux. Ce compte rendu est remis au Général ».
    La section du sous-lieutenant Bouille compte effectivement quatre morts : le brigadier de Vinols, les canonniers Chaillouet et Faivre, ainsi qu'un inconnu.
    Pour revenir à la C.M. 6 qui a reçu l'ordre de tenir à tout prix, abandonnée, elle reste sur ses positions dans la nuit du 14 au 15. Au petit jour, vers 5 h 30, elle est attaquée par des forces inférieures en nombre, mais qui montent en puissance et finissent par être supérieures. Néanmoins, elle se maintient sur place jusqu'à 9 h 30. Prise alors à revers en même temps qu'elle est fixée de front, elle est ensuite, dans les deux heures suivantes, réduite et capturée par fractions qui se défendent jusqu'au bout. En effet, arrivés au lieu-dit La Potence vers 10 heures, les Allemands se déplacent vers le bois des Caurrières et débordent ainsi l'unité par sa gauche. A plusieurs reprises, ils tentent d'aborder de front la section du lieutenant Serré (S.M. 1). En outre, les feux de la section du lieutenant Duval (S.M. 2) battent efficacement la bande découverte au-dessus de la crête militaire de La Potence, empêchant toute progression de l'adversaire. Cependant, un autre groupe d'assaillants a découvert un cheminement par lequel, discrètement, il tente de s'infiltrer. Il est alors pris à partie par le caporal-chef comptable Dewaelle (2e groupe-Ravitaillement et services de la section de commandement) qui se trouve à côté du commandant de compagnie. Le tir précis de ce gradé arrête le groupe et des cris de douleur se font entendre. La riposte allemande est immédiate ; les balles claquent. Le capitaine donne l'ordre de se replier, mais Dewaelle, dans son ardeur, veut encore tirer : il est tué net sans pousser la moindre plainte. Le capitaine se rend alors à la section Duval, dont les pièces tirent maintenant sans arrêt. Il y reste une dizaine de minutes puis se dirige vers les deux sections de mitrailleuses (Serré, S.M.1, et Keller, S.M.3) qui se trouvent à droite. Arrivé dans le layon à une trentaine de mètres du lieutenant, il s'arrête pour observer le groupe de voltigeurs du sergent Parcheminier (2 groupe de la section de fusiliers-voltigeurs) ; une grenade à manche lui arrive entre les jambes tandis que d'autres tombent sur les mitrailleurs. Il évite l'engin qui éclate sans le blesser, sort son pistolet et tire dans un taillis dans la direction probable des agresseurs. Il décide de prévenir les deux autres sections de mitrailleuses de l'infiltration ennemie. Or, contrairement à ce que croit le capitaine d'après l'observation du glissement continu de l'ennemi le long de la crête militaire de La Potence, les assaillants sont venus, non par la gauche mais par la droite, affaiblie par le départ des deux tiers des hommes de la section Keller. Aussi, en dépit de son élan, le capitaine ne fait pas plus de 50 à 6a mètres : les Allemands sont sur le layon et, après une courte lutte, ils le tiennent sous la menace de leurs fusils. Il est conduit au point où les hommes déjà capturés sont rassemblés. Il retrouve Serré et Keller (qui est légèrement blessé) ainsi que 64 hommes. Entre-temps, les assaillants ont réduit le reste de la section Keller puis pris à revers celle du lieutenant Duval sur laquelle ils ont bondi. La résistance cesse vers 11 heures. Ainsi est consommée la perte de la 6' compagnie, isolée dans un environnement boisé inextricable, ignorant complètement les intentions de ses supérieurs et faisant front à l'adversaire où elle se trouve. Avec ses hommes, animés semble-t-il d'un excellent moral, elle se défend jusqu'à épuisement de ses munitions d'armes automatiques. Elle oppose une telle ténacité que l'adversaire met plus de cinq heures pour venir à bout de sa résistance : celle-ci focalise son attention et permet aux autres unités du régiment d'éviter une déroute complète. Le déroulement du combat des 14-15 juin à Bezonvaux, reconstitué à partir des historiques et des témoignages des survivants, ne semble pas correspondre aux rumeurs colportées par certains. Quant à la narration figurant dans « Les combattants du 18 juin » de Roger Bruge, sa brièveté ne fait pas apparaître le courage de ceux qui ont tenu sans faiblir :
    « Au nord-est de Douaumont le 132e R.I.F. du lieutenant-colonel Blanchet se bat vers Bezonvaux où il laisse vingt-cinq tués, ce qui n'empêche pas des abandons de poste de se produire sous les coups de l'artillerie allemande, en particulier à la C.M. 6 du capitaine Davrainville où trois mitrailleuses sur quatre sont désertées. La quatrième se tait lorsque le caporal Robinet qui la servait est tué sur la pièce ».
    En tout état de cause, un ennemi bien supérieur en nombre et en matériels est arrêté pendant plus d'une demi-journée par le 132e R.I., essentiellement le 2e bataillon, en dépit d'un faible soutien de l'artillerie française.

    LES SUITES DU COMBAT DES 14-15 JUIN


    Les pertes françaises de l'engagement de Bezonvaux s'élève à 24 tués : 607e batterie anti-chars : brigadier Jean de Vinols canonniers Jean Chaillouet, André Faivre et un inconnu.132e R.I.F. - C.M. 6/2e bataillon : caporal-chef Robert Dewaelle ; caporal Adrien Robinet ; soldats Marcel Blaison, Pierre Ducrocq, Joseph Gaudriller, Louis Robin, Pierre Soiron. - 3e C.E.F.V./3e bataillon : sergents Raymond Bruyant, Maurice Leenens, Robert Varetcaporal-chef Lucien Moncomble ; caporal Gaston Viet soldats Armand Bizart, Désiré Dorangeville, Marcel Fradet, Edmond Gillet, Nicolas Guiot, René Mismaque, Albert Schneider, René Staath.En outre, deux soldat doivent être ajoutés à cette liste : d'une part un certain Haran dont le nom figure sur une annexe au rapport du capitaine Davrainville2', commandant la C.M. 6, en tant que tué le 15 juin, d'autre part André Robert de la C.M. 9/3e bataillon. Celui-ci aurait été fusillé par les Allemands lors de sa capture ou tué à Ornes alors que, captif, il tentait de s'échapper d'une colonne de prisonniers. Ce malheureux a été enterré sommairement par un prisonnier français en bordure de la route Bezonvaux-Ornes (sur le territoire de cette commune), à hauteur d'une fontaine.Parmi toutes ces victimes figurent deux Meusiens : Adrien Robinet de Montzéville et Louis Robin d'Etain. Le 8 décembre 1943, une citation est décernée à trois de ces morts :
    - Brigadier Jean de Vinols : « Fortement attaqué par des éléments d'infanterie, n'a pas hésité à prendre lui-même un fusil-mitrailleur et a infligé à l'ennemi de lourdes pertes. Par sa bravoure, a su s'imposer aux hommes de sa pièce ; est tombé à son poste mortellement blessé ».
    - Caporal Gaston Viet : « Gradé très énergique et très brave. Le 14 juin 1940, au cours d'une violente attaque allemande près de Bezonvaux, a su, malgré un tir d'artillerie très meurtrier, maintenir intacte la position qui lui était confiée, donnant à ses hommes l'exemple du calme et du sang-froid, et infligeant à l'ennemi des pertes sévères. A été mortellement blessé à son poste de combat ».
    - Soldat Louis Robin : « Soldat brave et courageux. Le 14juin 1940, au cours d'une attaque allemande près de Bezonvaux, a fait preuve d'un calme et d'un courage remarquable sous un tir d'artillerie. A été mortellement blessé à son poste de combat ».
    Ces citations portent attribution de la Croix de guerre avec étoile d'argent.Les cadavres des soldats français tombés les 14-15 juin 1940 sont découverts à la fin du mois, lorsque la population des villages voisins de Bezonvaux revient après son départ précipité. Ils sont convenablement inhumés sur place, vers le 5 juillet, par les soins de l'armée allemande à qui ils ont été signalés. Jean de Vinols et Jean Chaillouet sont enterrés dans un même trou d'obus, à 100 mètres derrière le monument aux morts de Bezonvaux. Le corps de Robert Dewaelle est retrouvé le 23 septembre, celui de Louis Robin en octobre 1940. Ils sont enterrés sur place individuellement. En décembre 1940 et mars 1941, à l'initiative des familles, les restes de Robert Dewaelle et André Faivre sont transférés dans le cimetière communal de Dieppe-sous-Douaumont. Du 26 mars au 19 avril 1941, toutes les autres dépouilles sont exhumées en présence de militaires allemands ; elles sont rassemblées dans la chapelle de Bezonvaux en présence d'un prêtre ; elles sont ensuite réinhumées au cimetière national de Bras. Le représentant du maire de Bezonvaux à ces opérations est Henri Masson, instituteur-secrétaire de mairie à Dieppe (il constituera ultérieurement une importante documentation sur le combat de Bezonvaux et les militaires qui sont tombés à cette occasion). Joseph Gaudriller est exhumé le 1 juillet 1942 pour être réinhumé à Bras. La trace d'André Robert, sans doute perdue puisqu'il est déclaré disparu en 1947, est retrouvée en 1949, époque à laquelle sa sépulture est attestée par le service compétent. Ses restes sont rendus à ses proches en 1950. Sur l'ensemble des corps enterrés à Bras, 17 sont remis aux famille en 1948 et un en 1949.

    La seconde Guerre Mondiale

    La 71.I.D du 11 au 14 juin 1940

    L'ACCROCHAGE DE BEZONVAUX VU PAR LES ALLEMANDS .
     
    Du côté allemand, l'engagement de Bezonvaux est un combat de rencontre dans le cadre d'une opération d'ensemble : la prise des avancées de Verdun. Un des deux régiments d'infanterie de la 71.I.D., l'I.R. 211, est chargé, à partir d'Azannes, d'atteindre les forts de Vaux et Douaumont. Les détails d'exécution de cette ample manoeuvre n'ont pas retenu l'attention des échelons hiérarchiques allemands et certaines péripéties sont ignorées : par exemple, les premières prises de contact du 14 après-midi, avec la perte de blindés. Sous l'effet d'une différence d'interprétation des événements et du décalage horaire entre l'heure française et l'heure allemande, le déroulement reconstitué ne coïncide pas parfaitement avec le récit du côté français.
    Le 14 juin, la 71.I.D. se rapproche du front nord de la ceinture fortifiée de Verdun, sur la rive orientale de la Meuse. Elle progresse sur deux axes principaux : à l'Ouest, venant de Stenay et Dun, par Sivry, Consenvoye, Brabant et Samogneux, l'I.R. 194 ; à l'Est, venant de Montmédy, Remoiville et Jametz, par Damvillers, Gibercy et Azannes, l'I.R. 211.
    Vers midi, l'I.R. 194 est engagé dans la région Samogneux-cote 344 et le II./I.R. 211 arrive devant Azannes. Cette unité est soutenue par une section de la 14e compagnie du 211e groupement de chasseurs mécanisés (14./Panzer-Jâger 211) et les batteries motorisées du 446e groupe d'artillerie lourde (schwere Artillerie-Abteilung 446). Le commandant de la 71.I.D. donne alors l'ordre à l'I.R. 194 de s'emparer de la côte du Talou et à l'I.R. 211 d'occuper les forts de Douaumont et Vaux.
    Pour l'I.R. 211, la journée est consacrée à une progression épuisante, sur une route barrée par des cratères, destructions ou obstacles, dans un environnement de hauteurs limitant les vues et de lisières de forêts. II a des engagements rapides mais vifs non loin de Grémilly puis d'Ornes ; à noter qu'ultérieurement les cadavres de 12 Français morts seront retrouvés près d'Azannes. A proximité de cette localité, 7 officiers et 200 hommes sont capturés par le II./I.R.211. Ensuite, l'I.R. 211 se trouve vers 20 heures (heure allemande) au sud d'Ornes : le lu bataillon arrivé à hauteur et à gauche du IIe se tient prêt à poursuivre l'avance. En dépit de grandes difficultés, le régiment attaque vers 21 heures (heure allemande), après que le le' gr./171e régiment d'artillerie O./A.R. 171) et le schwere Artillerie-Abteilung 446 aient été en mesure de l'appuyer : ces deux unités sont maintenant prêtes à bombarder les positions avancées aménagées dans les bois au sud d'Ornes. A droite progresse le II./I.R.211 qui a pour objectif le fort de Douaumont ; à gauche se trouve le I./I.R.211 qui vise celui de Vaux. Le mouvement du régiment est appuyé par l'artillerie citée précédemment et couvert par le détachement de reconnaissance divisionnaire (Divisions-Aufklârungs-Abteilung) ainsi que la 3./Panzer-Jàger 211. Après le franchissement du pont détruit près d'Ornes, le II./I.R. 211 repousse l'adversaire près de Bezonvaux, d'abord seul, plus tard avec le I./I.R.211. Les Français occupent alors une ligne courant au bas de la pente boisée près de Bezonvaux. Vers minuit (heure allemande), le régiment a réussi à progresser en direction des hauteurs. Il est en position favorable pour attaquer les forts de la rive droite de la Meuse le jour suivant.
    Ce même soir du 14, la division ordonne que, le lendemain matin de bonne heure, des troupes de choc possédant une forte puissance offensive et accompagnées de soldats du génie, soient envoyés à Bras, sur la côte de Froideterre en passant par la côte du Poivre et contre le fort de Douaumont. Les deux régiments de la division doivent saisir toutes les opportunités pour améliorer leurs positions de débouché ultérieur, en vue de permettre la prise des points d'appui ennemis et des forts. Le bilan de la division pour cette journée est de 10 officiers et plus de 900 sous-officiers ou soldats capturés. En revanche, ses pertes sont faibles : onze tués dont un officier et 101 blessés dont trois officiers. Même si elles sont minorées, on est loin de celles données par des sources reposant sur des témoignages : rien que pour le combat de Bezonvaux, elles se montaient à 600 ou 700 hommes, dont les cadavres auraient été rapidement incinérés.
    Le 15, de bonne heure, l'I.R.211 lance son attaque à partir des hauteurs de Bezonvaux autrefois si disputées ; il y a à droite le II./I.R.211 qui se dirige vers le fort de Douaumont, à gauche le I./I.R.211 qui avance vers celui de Vaux. Le III./I.R.211 reçoit la mission de ratisser le terrain en direction du sud, entre le régiment voisin vers l'Ouest et l'I.R.211 ; il s'agit d'éliminer une éventuelle menace de flanc. Le détachement de reconnaissance de la division doit attaquer par Dieppe pour gagner la route Verdun-Etain et couvrir le flanc est de l'I.R.211. En progressant vers le fort de Douaumont, le II./I.R.211 fait des prisonniers dans la zone ravin d'Hassoule-Hardaumont (2 officiers et 64 hommes, ce qui semble correspondre à la C.M.6/132e R.I.F.). Pour 9 h 15, le fort de Vaux est pris, pour 11 h 45 c'est le tour de celui de Douaumont. Le II./I.R. 211 a subi des pertes : 8 tués dont un officier et 25 blessés. Pour le 15 juin, celles de la division autour de Verdun sont de 17 morts dont un officier et 99 blessés dont quatre officiers.