• Les Carrières-Sud sont constituées par un ensemble de deux anciennes carrières situées dans le prolongement l'une de l'autre, à la cote 348,9, au nord-est du fort de Douaumont, au départ du Fond du Loup. La totalité du site est également connu sous le nom de P.C. Picard (du nom d'un lieutenant d'infanterie tué) ou P.C. Alsace : il se pourrait aussi que « P.C. Alsace » ne désigne que la plus au nord des deux carrières et « P.C. Picard » celle la plus au sud. Ces appellations ont été données après la reprise du secteur par les Français. Auparavant, elles sont baptisées par les Allemands « carrière G. » (G. Steinbruch), du nom du capitaine de réserve Giersberg, commandant le I.I.R. 57. Les abris qu'ils y ont aménagés, ils les ont appelés « galeries Giersberg » (Giersbergstollen). Une de ces carrières est occupée dès le mois de mars 1916 par un état-major régimentaire allemand. Le site est un relais pour les brancardiers qui transportent les blessés du ravin de la Fausse-Côte au ravin d'Hassoule par la piste appelé le « chemin des brancardiers » (Krankentrâgerweg). On a quelques informations sur l'état du site grâce au témoignage du chef d'escadron Alexis Callies qui commande le 1 gr./58 R.A.C. :

    « Lundi 29 janvier (1917) - Visite au P.C du régiment d'infanterie dont je suis soutien, à Carrières-Sud. C'est une ancienne carrière qui offre de très bons abris. Nos hommes les ont du reste approfondis et renforcés après le départ des Boches. Ils les ont surtout nettoyés. Les Allemands, quoi qu'on dise, sont infiniment moins délicats que nous. Comme Carrières-Sud est le seul point saillant et visible sur un plateau d'une certaine étendue, c'est un joli nid à obus. Plutôt que de se risquer au dehors les Boches préféraient utiliser comme feuillées et dépotoir des chambres souterraines qui dégageaient une odeur affreuse. Notre premier soin a été de nettoyer tout cela, y compris des cadavres enterrés à fleur de terre dans les abris, et d'y organiser à l'extérieur les locaux indispensables ... »

    Ce témoignage permet de savoir que le P.C. de la 245 brigade de la 123 D.I. s'y transporte le 31 janvier du même mois et le 1 février celui du 1gr./58e R.A.C. : le chef d'escadron Callies, commandant cette unité, se retrouve à 2 kilomètres en avant de ses batteries et complètement coupé en cas d'attaque :

    « Cette situation du commandant de l'artillerie près du commandant de l'infanterie est parfaite en cas d'offensive. Elle s'explique moins dans un secteur défensif. J'en fais l'observation. Ordre maintenu ».

    En définitive, sur le même lieu et à peu près au même endroit, sont regroupés les états-majors d'une brigade d'infanterie, d'un régiment d'infanterie et d'un groupe d'artillerie (celui-ci reste à cet endroit jusqu'au 16 mars). A proximité, dans des sapes, il y a aussi un poste de secours (Poste de Secours Alsace). En septembre 1917, il est occupé par des éléments médicaux de la 37 D.I. auxquels est rattachée la Section Sanitaire Automobile 32 (S.S.A.32) : celle-ci est composée d'ambulanciers volontaires recrutés aux Etats-Unis, appartenant au « service de campagne américain » (American Field Service) et dotés d'ambulances automobiles de marque Ford. Pendant 35 jours, cette section procède à des évacuations (3 040 militaires évacués), à partir de ce P.S. auquel il est possible d'accéder par une piste en madriers, planches et fascines après décembre 1916. Ultérieurement, le médecin-chef de la division déclarera :

    «... dans le secteur pénible de Bezonvaux, au Poste de Secours d'Alsace, ..., le dévouement des conducteurs de la section américaine fut unanimement remarqué et publiquement reconnu par une belle citation à l'ordre de la division ».

    En novembre-décembre suivant, c'est le poste de secours du 152 R.I. qui y est attesté, ainsi que la présence d'autres automobiles sanitaires appartenant à la S.S.A. 47 rattachée au service de santé de la 164 D.I, composée également de volontaires américains et dotée d'ambulances Ford. Non loin est aménagé un dépôt de matériels et dans une carrière proche un détachement de crapouillots. Le Zef mars de la même année a été « inauguré » le cimetière des Carrières-Sud qui, le 10, contient déjà 57 corps. Dans ce coin a été créé un dépôt de ravitaillement auquel peuvent accéder des camions grâce à la piste réalisée par le génie. A un kilomètre au nord des Carrières-Sud se trouvent les Carrières-Nord. Ce sont deux carrières proches l'une de l'autre, situées au nord de la cote 338,9, en lisière du bois Hassoule, juste en bordure sud du Chemin du Loup. Elles ne sont pas sur le territoire de Bezonvaux, mais à proximité immédiate de celui-ci sur la commune de Douaumont. Après décembre 1916, elles sont connues sous le nom de P.C. Lorraine et occupées par des P.C. régimentaires, en particulier par celui du 152e R.I.

     

    Des sites particuliers sur la commune

    P.C Alsace/Carrières-Sud (hiver 1916-1917) : Une messe; les hommes, dont la plupart ont conservé leur casque, sont rangés le long d'une paroi de la carrière, sans doute par sécurité; deux observent le ciel où tourne peut-être un avion.


  • Lorsque les hostilités s'arrêtent, le territoire de la commune de Bezonvaux est totalement détruit : tout est bouleversé et présente un aspect chaotique, avec des herbes folles et quelques buissons. A la place du village, il n'y a plus qu'une zone de ruines. Le cours du ruisseau, déformé par les cratères, est transformé en marécage. Les champs ne forment plus qu'un paysage lunaire. Des anciens peuplements forestiers, il ne subsiste que de lamentables épaves, des troncs déchiquetés, des fûts mitraillés dressant, au lieu de branches, des moignons noircis. Partout, le sol est crevassé par des tronçons de tranchées et de boyaux. Dans les fourrés qui ont réussi à pousser ou à subsister s'enchevêtrent des réseaux de fils de fer. Il n'y a pas d'endroit où ne sont pas visibles des quantités de débris de toutes sortes équipements, matériels, munitions,poutres, tôles, etc… , sans compter les restes humains. Il n'est donc pas envisageable que des habitants se réinstallent au milieu de cette désolation et cette impossiblité d'un retour définitif est confortée par les dispositions législatives organisant l'avenir des communes qui, comme Bezonvaux, ont été dévastées par le conflit. Une première loi, celle du 17 avril 1919 relative à la réparation des dommages causés par les faits de guerre, prévoit les conditions générales d'indemnisation :

    «  Les dommages certains, matériels et directs causés, en France et en Algérie, aux biens immobiliers ou mobiliers par les faits de guerre, ouvrent droit â la réparation intégrale ..., sans préjudice du droit, pour l'Etat français, d'en réclamer le payement à l'ennemi »..

    Le texte constate aussi qu'il existe des zones où toute la vie physique et économique a été complètement détruite. En outre, parmi les clauses particulières figurent celles susceptibles d'être mises en oeuvre pour les communes comme Bezonvaux :

    «  L'Etat ... a également la faculté de se rendre acquéreur, pour tout ou partie, des immeubles endommagés ou détruits... (Il) devra se rendre acquéreur des immeubles, après tentative de conciliation, si la remise en état du sol dépasse la valeur du terrain, déprécié dans son utilisation, en tenant compte, s'il y a lieu, de la dépréciation qui pourrait en résulter pour le surplus de l'immeuble, en cas d'acquisition partielle ».

    Déjà, le 21 mai 1920, le chef du Service de la Reconstitution Foncière et Cadastre de la Meuse fait savoir au préfet que la commission qu'il a présidée demande le rachat par l'Etat de la totalité du territoire de Bezonvaux ainsi que la suppression administrative de la commune avec rattachement à Ornes ou Bras. La commission indique que la destination à donner aux terres est le reboisement, sauf pour une surface de 150 hectares environ sur les lisières des communes de Dieppe et Maucourt, qui pourrait après remise en état être transformée en paturages. Ces terrains, situés à l'est de la route Ornes-Damloup, appartiennent à Monsieur Sponville et font partie de la ferme de Méraucourt dont la propriété a été réservée. Pour faire suite à l'avis de la commission, les propriétaires concernés sont prévenus du projet de rachat. Parallèlement est organisé l'ensemble regroupant les terrains devenus incultivables et inconstructibles et devant recevoir un statut spécial : la Zone rouge. Ce classement concerne dans la Meuse un bon nombre de villages dont Bezonvaux, situés à l'emplacement où le front s'est fixé en octobre 1914 et où se sont déroulés ensuite les combats les plus violents jusqu'à l'armistice. Les géomètres de la Reconstruction Foncière, aidés du Génie rural, en déterminent les limites en accord avec les maires et les habitants, certains voulant conserver des propriétés qu'ils jugent encore susceptibles d'une exploitation. Une autre loi, votée le 20 avril 1922, permet à l'Etat d'exproprier les terrains dont les propriétaires sont introuvables. Une troisième, celle du 24 avril 1923, décide le boisement de tous les terrains expropriés conformément aux dispositions des lois précédentes, sauf distraction préalable des lots susceptibles d'être rétrocédés à l'agriculture, classés comme vestiges de guerre ou transformés en camps d'instruction militaire. L'opération aura lieu quand la recherche des ossements et la récupération des ferrailles seront suffisamment avancées. Le 6 mars 1924, le ministère de la Guerre fait savoir qu'il réserve ses droits sur ce qui correspondait avant la guerre aux déboisements de la Vauche, de Moyémont et d'Hassoule ainsi que sur l'ouvrage de Bezonvaux. Il doit être prévenu avant toute exécution de travaux et l'autorité militaire indiquera alors ce qui peut être ramassé ou ce qui ne doit pas l'être. Pour faire suite à la loi du 20 avril 1922 et en application de l'article 46 de celle du 17 avril 1919, une autorisation de rachat est accordée à l'Etat le 24 août 1926 ; des propositions sont envoyées aux sinistrés le 8 septembre de la même année. 6 953 propriétaires reçoivent des offres. Ensuite, l'Etat ayant acquis tout le territoire de la commune de Bezonvaux, il confie aux Eaux et Forêts le boisement des zones réputées incultivables. Il doit ensuite revendre à des particuliers les parcelles susceptibles d'être remises en culture ou converties en pâturages. L'opération est exécutée après l'estimation des biens par une Commission spéciale de reconstitution foncière (une par commune). Entre-temps, celle de Bezonvaux, composée de quelques techniciens mais présidée par l'ancien adjoint Elie Trouslard, a rendu le 3 août 1923 un avis conforme à celui donné par la commission présidée par le chef du Service de la Reconstitution Foncière et Cadastre le 21 mai 1920 : elle envisage le lotissement de la partie du territoire s'étendant à l'est de la ligne de chemin de fer à voie métrique. En 1927, l'essentiel des terrains situés au-delà de la route Bezonvaux-Damloup a trouvé des acquéreurs (dans la Meuse, jusqu'en 1930, un quart du sol classé en Zone rouge sera ainsi revendu par l'Etat à des particuliers). Toutefois, il reste des parcelles diponibles et, au moins de 1927 à 1930, des éleveurs demandent à pouvoir y faire paître des moutons.
     

    Les abords du ruisseau à la lisière occidentale de Bezonvaux, juste après la guerre.

     


  • Autour du village détruit, dans ses ruines et dans celle de l'ouvrage, la nature reprend peu à peu ses droits. Des plantes sauvages et des arbustes envahissent râteaux et ravins. Le reboisement réglementé par la loi du 24 avril 1923 est effectué sous la direction des Eaux et Forêts, par des entreprises dont les ouvriers plantent des sapinières d'épicéas. Les « découvertes » sont forcément nombreuses ; c'est ainsi qu'en 1924, un garde des Eaux et Forêts retrouve, perdues dans les broussailles, aux environs de l'ancien moulin, les tombes de six soldats du 33e R.I.C. Trois sont identifiés : Adolphe Bernan (recrutement de Mende), Jean Castex (recrutement de Saint-Gaudens) et Charles Houillier (recrutement du Havre) ; ils sont morts le 9 novembre 1918. Autre exemple, en juillet-août 1927, sept corps sont découverts à Bezonvaux, dans ses environs et, le dernier, dans le Fond du Loup : Joseph Batteria (248e R.I., recrutement d'Ajaccio), Edmond Lecrosnier (321 R.I. + 15 décembre 1916, recrutement de Cherbourg), Raymond Boulasteix (53e R.I., + 23 septembre 1917, recrutement de Limoges), Jean-Baptiste Delaleux (recrutement de Cambrai), Jean Dionet (recrutement de Clermont-Ferrand) et un inconnu, ainsi que Léon [mile (recrutement de Nevers). Les restes de ces militaires sont transférés à la Nécropole nationale « Douaumont ». En 1926, une animation éphémère règne sur le site de Bezonvaux et les environs. Des ouvriers essentiellement des immigrés italiens - sont chargés d'effectuer des plantations d'arbres d'espèces résinueuses et en même temps de récupérer certains vestiges de la guerre. Quelques uns sont hébergés dans des baraquements, implantés en bordure de la route départementale venant d'Azannes et d'Ornes en direction de Damloup, entre l'emplacement où sera érigé le monument aux morts et le carrefour du chemin menant à la future chapelle. Une cantine fonctionne à leur profit : c'est la raison pour laquelle le recensement de 1926 indique que, cette année-là, il y a trois habitants à Bezonvaux : ce sont les tenanciers de cette cantine qui logent dans un baraquement en planches situé approximativement vers le coude de la route, au nord de l'emplacement ultérieur du monument aux morts. 1926 est donc un repère : avant, aucun habitant n'est déclaré ; ensuite, leur nombre varie de la manière suivante :1926 et 1927 3,1928 4, de 1929 à 1931 3, 1932 22, 1934 12, 1936 13. Les habitants recensés au cours des deux dernières années sont, de manière certaine, des étrangers. Les activités administratives les concernant sont assurées par l'instituteur-secrétaire de mairie de Dieppe-sous¬Douaumont, Henri Masson : ce service lui ouvre droit au versement d'une indemnité et au remboursement de ses frais pour se rendre à Bezonvaux. En 1936, ces étrangers se répartissent en deux familles : une italienne composée de huit personnes, dont cinq sont déclarés comme manoeuvres, une polonaise de cinq personnes, dont deux manoeuvres et une e cantinière » (sans doute la tenancière de la cantine déjà évoquée). Toutes ces personnes logent dans des baraquements en bordure de la route Ornes-Damloup ; en 1938, elles ne sont plus que dix. En outre, d'après des témoignages, deux familles sont installées dans la construction à usage mitai de gare, sise au niveau de la halte du chemin de fer à voie métrique : avant 1929 y habitait un couple avec des enfants et de 1929 à 1940 une famille également d'origine italienne, qui comprenait dix membres (certains étant employés comme ouvriers agricoles à Maucourt). Il y a lieu de se demander pourquoi les habitants de la gare n'ont pas été intégrés au recensement de ceux et celles qui habitaient sur le site de l'ancien village. A l'arrêt des hostilités, l'emplacement du cimetière de Bezonvaux est encore visible, mais il est bouleversé. Peu de tombes sont nettement identifiables. Le 12 mars 1929, Jean-Louis Melkior, ancien habitant de Bezonvaux demeurant alors à Bras, obtient l'autorisation de faire exhumer les corps de trois membres de sa famille : François Richier, Anne Lamorlette et Marie Joséphine Melkior, décédés respectivement en 1894, 1901 et 1903. Ces corps sont réinhumés au cimetière de Bras. Actuellement, dans l'enclos de la chapelle qui rappelle le site de l'ancien aître, existent encore le reste d'un monument funéraire enfoncé dans le sol ainsi que l'emplacement d'une tombe.

     

     

    Borne indiquant l'emplacement de la 1 ère ligne française, offerte par la
    " colonie du Sénégal " et implantée par le Tourning-Club de France en bordure de la route de Ornes-Damloup (2002)

     

    A l'écart des itinéraires officiels des pélerinages, ne bénéficiant apparemment d'aucun soutien, Bezonvaux ne fait l'objet d'aucune mesure de protection. Même la loi du 2 mai 1930, relative à la réorganisation de la protection des monuments naturels et des sites de caractère artistique, historique, scientifique, légendaire ou pittoresque, n'entraîne apparemment aucune conséquence, alors qu'elle est appliquée pour d'autres sites de la Zone rouge de Verdun : ni le village, ni l'ouvrage ne font l'objet d'une inscription sur l'inventaire prévu par cette loi puis d'un classement. Bien plus, les ruines sont utilisées pour fournir des matériaux. Des chemins sont ainsi empierrés dans lazone reboisée et des constructions nouvelles élevées dans les localités voisines notamment à Maucourt à partir de pierres récupérées dans l'ancien village. Cette manière de procéder aurait parfois été officielle ; cela aurait notamment été le cas dans les années 40 où de tels matériaux auraient été vendus par le service des Domaines. Cette récupération explique sans doute que les ruines visibles actuellement sont peu conséquentes. Pendant plusieurs années, l'emplacement du village n'est matérialisé que par une grande borne de granit, coiffée d'un casque et portant les inscriptions « Bezonvaux », « Ici fut repoussé l'envahisseur » et « Touring-Club de France Offerte par la colonie du Sénégal ». Comme toutes les bornes semblables, elle marque la position des premières lignes françaises en 1918, avant les opérations ayant conduit jusqu'au 11 novembre à la libération d'une partie de la zone occupée. Les bornes immédiatement voisines se trouvent vers le Sud au carrefour des routes Ornes¬Damloup/Vaux-Dieppe, vers le Nord en bordure de la route Louvemont-Ornes (au nord du champ de tir de la Wavrille).

     

    Bezonvaux, inauguration de la chapelle-abri ( 4 septembre 1932) : la fin de l'office.

     

    Néanmoins, l'Etat ayant versé à Bezonvaux des dommages de guerre, une partie de ces sommes est consacrée à l'édification d'un monument aux morts et d'une chapelle-abri commémorative. Le projet prend forme avec un courrier adressé par le préfet de la Meuse au sous-secrétaire d'Etat aux travaux publics et daté du 24 décembre 1930. Il y expose que plusieurs communes disparues du département et ne devant pas être reconstruites, sollicitent, en invoquant un précédent admis en Meurthe-et-Moselle, l'approbation d'un projet de construction d'une chapelle-abri à l'emplacement de leur ancienne église, afin de perpétuer le souvenir de la localité. Le 26 janvier 1931, le sous-secrétaire d'Etat autorise cette construction, le montant des travaux à effectuer étant imputé sur les indemnités de dommages de guerre disponibles. Un plan réalisé par le cabinet E. & M. Delangle, architectes à Verdun, est approuvé par le préfet de la Meuse le 9juin suivant ; un mois plus tard, c'est au tour du devis correspondant (déjà établi le 7 mars 1930) de recevoir l'accord de cette autorité. La chapelle est alors érigée ; sa première pierre est posée le 14 mars 1932 en présence de l'abbé Martin, curé d'Ornes et de Bezonvaux jusqu'en 1914. Entièrement en pierre de taille (dont le matériau vient de Génicourt), elle est construite sur l'emplacement de l'ancienne église, mais avec une orientation différente facilitant son accès. Elle a la forme d'une croix avec un chevet circulaire, sa façade évoquant deux mains jointes dans l'attitude de la prière. Décorée par des fresques de Lucien Lantier dont il ne reste que les principaux éléments, elle est éclairée latéralement par deux grands vitraux (baies cintrées mesurant 2,25 x 2,20 m) et, dans le choeur, par six petites baies hautes chacune de 1,35 m et larges de 0,60 m: ces huit oeuvres sont réalisées par l'atelier Gruber. Le vitrail de gauche est une « Scène religieuse sur Jeanne d'Arc », celui de droite une « Scène patriotique sur la guerre 1914-1918 ». Cette baie évoque une relève de troupes après la reprise de Bezonvaux par les Français, les 15-16 décembre 1916, et les uniformes kaki moutarde qu'on y distingue rappellent la participation du 3e Zouaves à cette opération. Les six petites baies représentent des personnages en pied, c'est-à-dire les saints suivants : Gilles, le patron de Bezonvaux, accompagné de sa biche, Sébastien, Joseph, Jean-Baptiste, Louis et Marcel. A l'entrée de la chapelle, un porche ouvert est séparé de celle-ci par une belle grille en fer forgé, oeuvre du ferronnier Serra. Un fin clocheton surmonte l'ensemble. A côté de la chapelle, un grand calvaire remplace les croix de l'aître, le cimetière qui entourait l'église, dont peu de vestiges ont été retrouvés. La chapelle est inaugurée le dimanche 4 septembre 1932, en même temps que le monument aux morts.

     

    Bezonvaux : inauguration de la chapelle-abri ( 4 septembre 1932 ) : la
    photo-souvenir devant la chapelle.


    A la cérémonie assistent 200 personnes, amenées par autocars et voitures particulières. Des « anciens » de Bezonvaux, parfois venus de loin du Massif central, de la Haute-Savoie, de Marseille, etc, ont fait le déplacement. Parmi ces pélerins, certains comme Germaine Marchal et sa mère n'étaient jamais revenues à Bezonvaux depuis leur départ et ne parviennent pas à identifier les restes du village (à noter qu'à l'occasion de ce pèlerinage, Germaine fera la connaissance de son futur mari, originaire d'Ornes). Les personnalités présentes à côté de Jean-François Trouslard, président de la commission municipale de Bezonvaux, et des deux membres de cette commission, sont le sénateur Lecourtier, le député Schleiter, le conseiller d'arrondissement Hazard, un des deux architectes Delangle, le peintre Lantier, l'abbé Martin et les maires des communes limitrophes.

     

    Bezonvaux, inauguration du monument aux morts ( 4 septembre 1932 ) : 
    la photo-souvenir près la cérémonie.


    Cinq cimetières provisoires sont attestés à Bezonvaux et dans les environs : un français ouvert en 1917 près du P.C. Alsace/Carrières Sud (correspondant à l'ambulance française installée à proximité), un dans le bois des Caurrières (créé peut-être après la guerre), trois pour les soldats allemands enterrés à la hâte au cours du conflit ou découverts après la guerre : dans le jardin du « château » (poste de secours dans les caves de celui-ci), près de la ferme de Méraucourt (poste de secours dans un abri sanitaire aménagé sous la ferme) et à proximité de l'ouvrage (poste de secours dans les abris de celui-ci). Le cimetière du P.C. Alsace/Carrières Sud a dû être supprimé en 1931/32, période correspondant à l'exhumation d'au moins onze corps transférés de ce site à la Nécropole nationale « Douaumont ». Longtemps après cette opération, les croix encore munies de leur plaque et correspondant aux tombes vides de trois militaires français du 119 R.I., tués le 23 décembre 1916 (les soldats Alfred Decomis, Albert Hue et Emile Legendre), sont restées en place : leur existence s'est traduite par l'indication d'un signe conventionnel (une croix) sur certaines cartes. Quant aux cimetières allemands, ils sont supprimés après le transfert des restes dans les nécropole d'Azannes II, de Ville-devant-Chaumont et d'Hautecourt. D'autres sépultures allemandes ont été relevées sur le territoire de Bezonvaux ; il semble que les corps aient été ramenés de ces différents lieux d'exhumation à Ville-devant-Chaumont au cours de l'année 1934. Actuellement, seuls 28 corps identifiés, provenant de divers endroits de la commune de Bezonvaux, sont répertoriés : 7 à Azannes II, 19 de Ville-devant-Chaumont dont 7 provenant des environs de l'ouvrage de Bezonvaux, 2 à Hautecourt. S'agissant des Français disparus, la mémoire de certains est honorée par l'inscription de leurs noms sur les piliers ou la voûte de l'Ossuaire de Douaumont, par exemple : Auguste Delprat (116 B.C.P., + 15 décembre 1916, Bezonvaux), Jacques Depigny (aspirant 320 R.I., + 14 septembre 1917, bois des Caurrières), Joany Dimet (caporal 5e R.I., + 6 octobre 1917, bois des Caurrières), André Faletti (lieutenant 2e Zouaves, bois des Caurrières), Alphonse Guiot (151 R.I., + 26 août 1917, bois des Caurrières), Marcel Mouret (151 R.I., + 31 août 1917, Bezonvaux), Paul Mihiere (2e Zouaves, + 15 décembre 1916, Bezonvaux), Emile Sigaud (2e Zouaves, + 15 décembre 1916, Bezonvaux), Georges Vercheval (320 R.I., + 14 septembre 1917, bois des Caurrières). 

     

    Voie ferée d'intêret local (Société Générale des Chemins de Fer Economiques) : la rame est composée de wagons venant d'une part de Montmédy, d'autre part de Commercy. Passant à hauteur de l'ossuaire en construction, elle se dirige vers Verdun (1927). 


    En ce qui concerne le chemin de fer à voie métrique, sa remise en état commence au début de 1919, à raison de 100 mètres par jour en moyenne. L'ensemble de la ligne Verdun-Montmédy/Verdun¬Commercy est terminé à la mi-juillet 1920. La halte de Bezonvaux est reconstruite et un logement est même prévu pour un employé. Mais, celui-ci ne sera jamais affecté et ce logement est loué à des particuliers qui, pour autant, ne semblent pas comptabilisés comme des habitants de Bezonvaux. Le trafic reprend aussitôt en étant sécurisé par l'installation du téléphone qui permet de suivre la progression des trains. Sur l'ensemble de la ligne, la fréquentation est de 290 000 voyageurs en 1920, 342 000 en 1922. En raison du développement des transports automobiles, elle diminue de moitié dans les années suivantes et tombe à 41 000 usagers en 1938. Le tonnage de marchandises transportées connaît la même évolution : il atteint 173 000 tonnes en 1922 et n'en représente plus que 2 500 en 1938.


  • Les études faites en application de la loi du 17 avril 1919, relative à la réparation des dommages causés par les faits de guerre, indiquent que 25 communes dévastées de la Meuse sont concernées par une inclusion partielle ou totale dans la zone destinée à recevoir un classement spécial : la Zone rouge. Parmi ces communes, onze villages sont menacés de ne pas être reconstruits. L'examen des documents relatifs à ceux-ci fait apparaître deux démarches contradictoires : d'un côté, des formalités en vue de rétablir leur fonctionnement communal, de l'autre la tentative de supprimer leur entité. D'abord, sur ces onze, deux obtiennent finalement l'autorisation d'être reconstruits : Béthincourt et Samogneux. Ensuite, deux autres Ornes et Douaumont , recouvrent des habitants, de même que Vaux : sur ce site, ils sont 19 en 1922. Ce sont des employés de la Société des Chemins de fer Economiques, chargés de l'exploitation d'une partie de la ligne Verdun-Montmédy et accompagnés de leurs familles. Ce personnel s'installe dans des maisonnettes toujours visibles dans la rue principale de Vaux, en face des anciennes constructions composant la gare. La présence de ces premiers habitants permet à la commune d'exister véritablement, avec la nécessité d'une administration communale (d'où l'ouverture d'une mairie) et le choix d'un maire par les électeurs habitant sur place. Bezonvaux en dépit de la présence, comme on l'a vu, de résidents à partir des années 20 et jusqu'à la seconde guerre mondiale rie connaît pas de véritable réinstallation : un rapport mentionne d'ailleurs en 1932 qu’ « aucun habitant n'est rentré depuis 1914 ». Bezonvaux partage alors le sort de Fleury, d'Haumont, de Beaumont, de Cumières et de Louvemont. Ces communes, situées dans la Zone rouge ou en lisière de celle-ci, ne sont pas rattachées à une autre. Elles sont administrées conformément à la loi du 18 octobre 1919: le législateur a envisagé que, dans le cas particulier de celles dévastées par la guerre, s'il n'est pas possible de former un conseil municipal, une commission municipale de trois membres nommés par le préfet soit créée. Cette loi prévoit, en outre, que cette commission et son président soient investis de la plénitude des attributions des conseils municipaux et des maires. Ainsi, une vie communale, même restreinte, est possible, d'autant qu'il existe, pour ces communes, un électorat spécifique. Leurs anciens habitants sont provisoirement réfugiés ou définitivement expatriés en divers points du territoire français : ils n'ont pas été compris dans la population de leur commune de résidence d'avant-guerre. Néanmoins, ils manifestent leur intention d'y conserver leur domicile politique et continuent dès lors à y figurer sur les listes électorales qui sont ouvertes aux inscriptions. Cette possibilité est offerte par la circulaire du ministre de l'Intérieur du 12 décembre 1918 relative au recensement des évacués susceptibles d'être inscrits sur les listes électorales en 1919. C'est le cas à Bezonvaux où le nombre d'électeurs enregistrés est de 26 en 1921 (pour une cinquantaine avant la Grande Guerre). Après être resté à peu près au même niveau pendant deux ans (1922 32, 1923 26), il entame une descente (1923-1924 16,1925 6,1926 6, 1926 à 1928 3) pour finir par être nul à partir de 1930. Le système de la commission municipale est alors justifié ; il est d'ailleurs entré en vigueur l'année précédente. La lecture des arrêtés préfectoraux pris dans les années de la guerre montre que, dans le canton de Charny dont fait partie Bezonvaux, le retour d'une administration communale dans toutes les communes a été long. Dans l'arrêté du 29 octobre 1919, le préfet de la Meuse déclare les 22 communes de ce canton dévastées par la guerre : trois sont en mesure d'avoir un conseil municipal, sept sont désignées en tant que communes de rattachement pour les élections municipales et, pour douze autres dont Bezonvaux, aucun bureau de vote n'est constitué. Pour cette commune, il semble que ce soit Gustave Féré, marchand de beurres, fromages et salaisons établi à Marseille, qui suit les opérations électorales. Six conseillers municipaux sur les dix auxquels pouvaient prétendre la commune sont déclarés élus le 18 janvier 1920 ; néanmoins, compte tenu des difficultés ren¬contrées, de nouvelles élections ne sont pas prévues. Louis Collin, cultivateur à Maucourt et réfugié à Beurey-sur-Saulx, est élu maire avec Jean-François Trouslard, habitant à Labeuville, comme adjoint (il est censé avoir été conseiller municipal depuis 1912). Toutefois, avançant divers arguments dont son âge, le nouveau maire démissionne le 10 avril suivant. Le 14, le préfet de la Meuse décide que les affaires courantes seront réglées par l'ancien maire, Pierre Savion, réfugié à Laneuville par Wassy (Marne). Puis les fonctions de maire sont assurées par Jean-François Trouslard : il signe déjà des actes en tant que tel dés 1921. Cette solution est confirmée par le sous-préfet de Verdun le 23 novembre 1922 et l'intéressé est installé définitivement le 2 août 1925, avec Louis Collin, cultivateur à Maucourt, comme adjoint : pour !es élections correspondantes, enregistrées le 3 juillet précédent (scrutin par listes), seuls 3 votes ont été réceptionnés pour le premier tour et aucun pour le second, alors qu'il reste 6 électeurs inscrits dans la commune. En outre, de cette opération résulte la désignation de 4 conseillers municipaux seulement. Par arrêté du 22 avril 1922, le préfet de la Meuse constate que, pour 19 communes, les électeurs ne sont pas encore rentrés et qu'elles doivent être maintenues sur la liste des communes dévastées. Le 26 juin 1929, il publie la liste des maires élus au scrutin du mois de mai précédent. Il y fait figurer les présidents des commissions municipales : pour Bezonvaux, Jean¬François Trouslard (les membres de la commission municipale sont Louis Collin et Jean-Baptiste Nivromont). Les présidents suivants de la commission municipale de Bezonvaux sont Léon Trouslard, installé à Labeuville (1935), puis son fils Jean Trouslard, habitant dans la même localité (1937). Mobilisé en 1939, celui-ci est remplacé par Elie Trouslard, également de Labeuville. Quant à Louis Collin, adjoint au président de la commission municipale, il décède en 1934 et son fils Roger, cultivateur et conseiller municipal de Maucourt, lui succède. L'arrêté du 26 juin 1929 pris par le préfet de la Meuse, faisant suite à celui du 22 avril 1922, entérine définitivement la liste des communes de la Zone rouge de Verdun, lesquelles n'existeront que territorialement. Elles ont aussi une existence administrative et financière. A cette époque, leur compte est composé essentiellement d'attributions de divers impôts, de centimes additionnels aux contributions indirectes et de revenus des biens communaux (rentes sur l'Etat, éventuellement locations de chasses). En outre, elle perçoivent des sommes aux titre de l'indemnisation des dommages de guerre. Même si d'un certain côté, il y a manifestement des efforts pour rétablir un fonctionnement communal aussi normal que possible, l'entité communale des villages détruits est menacée pratiquement dés la fin du conflit. La loi du 17 avril 1919 constate qu'existent des« zones où toute la vie physique et économique a été complètement détruite » ; toutefois, a la réunion des communes de la future Zone rouge aux communes limitrophes n'est ... possible ni légalement ni matériellement ». La solution est la suppression pure et simple de ce qu'elles représentent en tant que collectivités territoriales et, alors, le rattachement de leur territoire à des communes existantes. Le 21 mai 1920, le chef du Service de la Reconstitution Foncière et Cadastre de la Meuse rend compte au préfet que la commission qu'il a présidée propose la suppression administrative de Bezonvaux avec rattachement à Ornes ou Bras. Le sort des onze communes concernées initialement est évoqué en décembre 1921 dans un échange de correspondance entre le ministre de l'Intérieur et le préfet de la Meuse : la question se pose de leur avenir alors qu'aucun habitant n'est revenu, qu'il n'y a pas d'ouvriers installés provisoirement, mais qu'elles ont conservé leur personnalité civile et que le rattachement génère des problèmes légaux et matériels. La suppression reste d'actualité alors que les années passent et la Direction de l'administration communale et départementale du ministère de l'Intérieur semble en être l'instigatrice. En 1926, c'est au tour d'un député de la Meuse, Monsieur Taton-Vassal d'entrer dans le jeu. Au début de décembre 1926, il dépose une proposition de loi sur le bureau de la Chambre des députés concernant la suppression des communes de la Zone rouge des régions dévastées. Elle est renvoyée à la Commisssion d'administration générale, départementale et communale sous réserve de l'avis de la Commission des régions libérées. Apparemment, l'affaire en reste là. Ultérieurement, le sous-préfet de Verdun, constatant qu'aucun habitant n'est rentré, émet le 10 décembre 1932 l'avis que la vie municipale de Bezonvaux peut être considérée comme définitivement arrêtée : d'ailleurs, comme un conseil municipal n'a pas pu être élu, une commission municipale a été instituée depuis 1929. Huit jours après, dans un rapport adressé au préfet de la Meuse, il révèle sa position

    « ... de façon générale et bien que des protestations puissent s'élever contre la suppression ou le rattachement de ces communes (il s'agit des huit communes détruites), de la part des anciens habitants, il semble indispensable que cette modification territoriale soit opérée le plus tôt possible pour celles où la vie municipale n'a aucunement repris son cours. »

    Le préfet n'a pas attendu d'avoir ce rapport pour donner son opinion au ministre de l'Intérieur. Au sujet de ces communes, il lui a écrit le 10 décembre:

    « Leur suppression et leur rattachement ... ne peut soulever aucune protestation de la part des populations qui s'attendent, du reste, à ce qu'une mesure de cette nature soit prise à leur égard ».

    Un peu plus tard, la suppression éventuelle des communes dévastées par les événements de guerre et leur rattachement à d'autres localités fait l'objet de dispositions mentionnées dans un décret daté du 14 juin 1938 et relatif aux Finances locales. La possibilité d'une telle disparition est offerte notamment par la formule suivante :

    « Lorsque le rachat, en exécution de l'article 46 de la loi du 17 avril 1919, ou de toute autre décision légale, de toutou partie du territoire d'une commune a eu pour effet de rendre la vie communale impossible, la suppression de cette commune et son rattachement à une ou plusieurs communes sont, dans tous les cas, prononcés par un décret en Conseil d'Etat.. ».

    Dans la Meuse, ce projet de suppression et de rattachement concerne huit communes : Beaumont¬en-Verdunois, Bezonvaux, Cumières-le-Mort-Homme, Douaumont, Fleury-devant-Douaumont, Haumont¬prés-Samogneux, Louvemont-côte du Poivre, Ornes (le cas de Vaux est exclu). Une enquête est alors officiellement lancée pour recueillir des observations et les parties intéressées sont invitées à adresser leurs avis à la préfecture de la Meuse 16. La commission municipale de Bezonvaux, composée à cette époque de Jean Trouslard (président, demeurant à Labeuville), assisté de Désiré Remoiville (Verdun) et Roger Collin (Maucourt), fait savoir en juillet 1939 que le projet de rattachement envisagé de Bezonvaux à Dieppe ou Maucourt ne recueille pas son assentiment. Toutefois, si sa position n'est pas respectée, elle acceptera un rattachement à Maucourt : selon le voeu des anciens habitants, elle demande qu'une partie des revenus de la commune soit affectée à celle de rattachement pour l'entretien de la chapelle-abri et du monument aux morts ainsi que pour l'organisation du pèlerinage annuel à l'occasion de la fête patronale de Bezonvaux. Le procès-verbal de la réunion de cette commission, le 19 juillet 1939, se termine par la formule suivante :

    « Les considérations matérielles et morales sont d'un ordre trop élevé pour que Bezonvaux disparaisse à tout jamais ».

    Quelques semaines plus tard, un nouveau conflit mondial commence et, apparemment, il n'est plus question de ce projet.


  • Le 10 mai 1940, la « drôle de guerre » se termine par le déclenchement d'une importante offensive allemande vers l'Ouest. Le 16 mai, lors d'un raid aérien allemand sur un objectif inconnu, une bombe tombant à proximité de la chapelle de Bezonvaux lui cause des dommages, heureusement sans importance. C'est, somme toute, un incident mineur par rapport au drame qui va se jouer quelques semaines plus tard.

    LE PRELUDE : L'ABANDON DE LA LIGNE MAGINOT

    A cette époque de la guerre, les fortifications permanentes ou de campagne du Secteur Fortifié de Montmédy (S.F.M.), qui est une extension vers l'Ouest de la Ligne Maginot, sont toujours occupés par des troupes de forteresse. Sous les ordres du général Burtaire dont le P.C. est à Stenay, elles occupent des positions allant de Villy-la-Ferté à Longuyon, lesquelles incluent la Tête de Pont de Montmédy (T.P.M.), la partie la plus solide du S.F.M. Le S.F.M. entre dans la bataille le 13 mai. Environ un mois après, la situation a évolué très défavorablement. Le 8 juin, le S.F.M. est supprimé et le général Burtaire est nommé à la tête d'une division portant son nom division légère Burtaire (D.LB.) ou division motorisée Burtaire et composée essentiellement de troupes de forteresse. Elle est chargée de tenir non seulement les ouvrages et casemates ce qui était déjà sa mission, mais aussi les intervalles, d'où les unités qui les tenaient seront retirées le 10. Quant aux positions avancées, elles seront abandonnées. Ce jour-là, le général Burtaire est averti que le général Huntziger, commandant le groupe d'armées N° 4, vient de décider d'abandonner la T.P.M. qui risque d'être prise à revers. Les équipages des ouvrages et casemates ainsi que les unités tenant les intervalles vont donc abandonner la totalité des fortifications permanentes et de campagne de la T.P.M., mais aussi de celles du plateau de Marville. Après la réalisation de sabotages et de destructions, le mouvement commence le 11 et s'achève le 13. Toutes les garnisons des ouvrages et casemates prennent la route de Marville, puis elles poursuivent leur marche vers le Sud dans des conditions particulièrement pénibles. Le 13, la D.L.B. se replie sur une ligne nord-est de Bras/Hauts-de-Meuse vers l'Est. Le 14, elle est au nord de Verdun, sur une ligne entre la Meuse et le nord/nord-est de la ville. Le soir du 15, elle est au sud/sud-est de Verdun.

    BEZONVAUX 14 JUIN : LE PASSAGE D'EQUIPAGES DE LA T.P.M


    A la suite de la décision du général Huntziger d'abandonner la T.P.M., les équipages des ouvrages et casemates constituent des détachements. Pour l'ou¬vrage du Chesnois, le plus important de la T.P.M. et dont l'équipage appartient au 155' R.I.F., trois groupes sont formés. Le dernier à partir est celui commandé par le capitaine Aubert. Cet officier pense rejoindre les autres groupes à Marville. Lorsqu'il arrive dans cette bourgade, ceux-ci sont déjà partis. A 17 heures, il est à Damvillers où il reçoit l'ordre de rejoindre Romagne¬sous-les-Côtes en camions, avec comme objectif Bezonvaux où l'on rassemble les équipages. A Romagne, un officier de l'état-major de la D.L.B. fait distribuer des repas froids et annonce à Aubert qu'il lui faut repartir sur Bezonvaux où les équipages vont être regroupés. La colonne repart à 21 heures pour rejoindre son objectif. En passant à Ornes, Aubert retrouve les équipages de l'ensemble de Velosnes (132e R.I.F.) et de la casemate d'Avioth (136' R.I.F.), puis à Bezonvaux ceux appartenant au 155' R.I.F. des casemates de Margut, Moiry, Sainte-Marie et Sapogne. Le 14 à 1 h 30, tous ces éléments sont à Bezonvaux : ils ont parcouru environ 70 kilomètres ; la distance, les conditions du repli, le manque d'entraînement à la marche et l'âge de ces réservistes font que beaucoup sont épuisés. Pourtant, il faut poursuivre et Aubert reçoit l'ordre de rallier la côte du Poivre pour continuer vers le sud-est de Verdun. Lui-même, incapable de marcher, doit être placé dans un camion.

    BEZONVAUX 14-15 JUIN : UN COUP D'ARRÊT FRANCAIS


    Après le repli d'équipages de la T.P.M., qui concerne rapidement Bezonvaux, l'ancien village et ses environs sont le théâtre d'un engagement entre les Français et les Allemands.Le 14 juin 1940, le 132e R.LF., commandé par le lieutenant-colonel Blanchet, se replie depuis l'avant-veille, à partir du sous-secteur de Marville qu'il tenait. S'étant arrêté pendant quelques heures pour que les hommes se reposent, il reprend sa progression vers 3-4 heures du matin par Azannes, Ornes et Maucourt19. Entre 3 h 30 et 4 h 30, les gros des 132 et 136 R.I.F. refluent par cette première localité : ils sont en colonne de route car l'ennemi, maintenu par quelques éléments d'arrière-garde à 5 ou 6 kilomètres plus au Nord, n'exerce pas une forte pression. Le 132e R.I.F. s'arrête à nouveau près de l'étang de Vaux et sur les abords ouest de Bezonvaux : le 1e/132e R.I.F. au nord de Vaux, le 2e dans le bois d'Hardaumont jusqu'au ravin du Muguet, le 3 entre le ravin d'Hassoule et le Fond du Loup, le P.C. régimentaire au fort de Douaumont. C'est dans cette articulation que va avoir lieu une violente rencontre avec les Allemands, dont la progression est arrêtée jusqu'à la tombée de la nuit, la lutte ne se poursuivant pas dans l'obscurité. Le 132 R.I.F. est appuyé par deux pièces de la 607 batterie antichars, appartenant au 2e régiment d'artillerie coloniale (2e R.A.C.) et commandée par le capitaine Laugeri:
    «... le 13 à 17 heures je reçois l'ordre de me mettre à la disposition de la D.L.B.... (Le lendemain), à Bras je reçois l'ordre suivant: "La batterie anti-chars mettra ses sections à la disposition des régiments d'infanterie pour assurer la défense anti-chars - 1 section au 132 R.I.F.  1 section au 136R.I.F  1 section au 155 R.I.F. Désormais elles recevront leurs ordres directement des chefs sous les ordres desquels elles se trouveront placées pendant la manoeuvre en retraite" ... La batterie se trouve ainsi déployée entre la Meuse au Nord de Vacherauville et Bezonvaux ».
    En début d'après-midi, la division Burtaire organise une ligne défensive avec le 155e R.I.F. à l'ouest de la route Ornes-Bras, à hauteur du bois de Chaume, et le 132e à l'est de cette route jusqu'à Bezonvaux. Globalement, le terrain est favorable à une opération d'arrêt de l'adversaire. D'après des témoignages, les ruines de l'ancien village sont encore nettement visibles car la végétation est encore rare à cet endroit. Les 1er et 3e bataillons restent sur leurs positions ce dernier avec sa 3e compagnie d'Engins et de Fusiliers-Voltigeurs (3C.E.F.V.) à hauteur du Chemin du Loup. A 14 heures, un ordre prescrit au 2e/132e R.I.F. (chef de bataillon Cazal) d'installer sa Ligne Principale de Résistance (L.P.R.) à la lisière nord du bois des Caurrières, en détachant une section en avant-postes à la corne nord-est du bois de Chaume. Ce bataillon est avancé au nord du Fond des Rousses et son dispositif doit être le suivant : dans le bois des Caurrières, d'Ouest en Est, les 7 et 5 compagnies de mitrailleuses (C.M. 7, 5), un peu plus à l'Est, entre le lieu-dit La Potence et le Fond des Rousses la C.M. 6. De l'emplacement où elle s'était arrêtée en défensive à hauteur de la route Ornes-Damloup, au nord de la cote 258 (point coté sur la route, à hauteur du ravin du Muguet), cette unité élémentaire se déplace donc au nord du Fond des Rousses jusqu'au sud du lieu-dit La Potence. Elle s'étire au maximum vers l'Est et a des vues jusqu'à hauteur de la route Ornes-Damloup. Elle occupe ainsi, en fin d'après-midi, une pente boisée, à la végétation touffue, où elle est repérée avant d'avoir pu mettre en placecomplètement son dispositif et essuie un vif bombardement.Peu après 14 heures, le contact est pris avec des détachements allemands arrivant par la route d'Ornes. La confrontation va durer alors jusque tard dans la soirée selon le déroulement chronologique suivant :
    14h 25-14 h 35 : Une automitrailleuse allemande se présente sur la route Ornes-Bezonvaux, en face de la C.M.6. Elle est détruite par un canon antichar. La compagnie n'a pas de pertes.
    14h 40: Des éléments d'infanterie allemande se trouvent à portée de tir des armes automatiques du 132 R.I.F. Il y a des tentatives d'infiltration par petits groupes.
    14h 50 : Plusieurs colonnes adverses sont observées alors qu'elles progressent vers Bezonvaux. L'artillerie française ne tire pas. 15h 00: Un char léger allemand apparaît sur la route Ornes-Bezonvaux. II est détruit par un canon antichars et prend feu.
    16 h 00: Devant cette résistance, l'artillerie allemande intervient par de violents tirs de 105 mm sur les positions françd'ises. La section de transmissions du régiment vient de terminer de tirer une ligne téléphonique qui court du P.C. du 2 bataillon, dont l'emplacement est à la cote 350 (349,8), au nord du fort de Douaumont (champ de tir de la Wavrille), jusque sur les hauteurs de Bezonvaux. L'intensité du bombardement augmente ; celui-ci fait rage. L'adjudant-chef Nydegger (3' C.E.F.V.13e bataillon) est enterré par l'explosion d'un obus ; indemne, il se dégage. Le projectile lui tue 3 subordonnés : le sergent Leenens, le caporal Viet et le soldat Gillet, tous les trois affreusement mutilés. Ce drame a lieu en bordure du chemin qui part de Bezonvauxet monte à Douaumont (Chemin du Loup), à 500 mètres environ de l'unique maison existant alors à Bezonvaux, sans doute un des baraquements construits entre les deux guerres pour les ouvriers au carrefour de ce chemin et de la route Ornes¬Damloup.
    16 h 30: La tourelle de 75 mm du fort de Douaumont ouvre le feu ; elle tire sans arrêt jusque dans la soirée.
    18 h 00 : Après 18 heures, l'artillerie allemande reprend son tir qui dure jusqu'à 18 h 15.
    18 h 50 : Le bombardement violent recommence et cause des pertes. Le soldat Robin (C.M. 6), en position près de la route Ornes-Damloup, entend un camarade blessé qui se plaint. N'écoutant que son courage, il se précipite pour l'aider ; se découvrant, il est mortellement blessé.
    18 h 55 : Les 2 groupes de mortiers du bataillon exécutent des tirs sur des rassemblements allemands. Ces tirs se prolongent jusqu'à 20 h 30.
    19 h 05 : L'artillerie allemande exécute un tir mal réglé de 105 mm sur les arrières et le P.C. du 2e bataillon.
    19 h 15 : Les Allemands attaquent en force sur Bezonvaux. L'attaque est accompagnée d'un tir d'encagement ; il est exécuté à hauteur des unités de soutien françaises qui subissent des pertes. Celles qui sont assaillies résistent pendant une heure et demie. L'infanterie adverse cherche alors à s'infiltrer par les deux ailes. Plusieurs mitrailleuses françaises sont réduites au silence par des tirs de mortiers allemands. Leurs chefs de pièce et les servants sont tués ou blessés.
    20 h 15 : De nouveaux tirs de l'artillerie allemande se produisent. Ils détruisent un groupe de mortiers et un fusil-mitrailleur (personnels et matériels).
    20 h 30 : Une batterie de 75 mm entre en action. Jusqu'à présent, du côté français, hormis la tourelle de 75 mm de Douaumont, c'était des mortiers qui exécutaient des tirs sur les rassemblements adverses.
    20 h 35 : L'infiltration allemande s'accentue vers l'Ouest, ce qui oblige une partie des 7e et 5e compagnies de se replier de 300 mètres pour éviter un débordement.
     20 h 50 : Les chenillettes de la 2e C.E.F.V.12e bataillon ayant distribué toutes leurs munitions sont mises en marche pour être renvoyées à l'arrière. Le mouvement fait supposer aux Allemands que des chars sont devant eux. Ils marquent un temps d'arrêt.
    21 h00: Les Allemands ne progressent plus, néanmoins le commandant du 2e bataillon fait occuper un élément de tranchée un peu en arrière par le personnel de son P.C. Quelques coups de 105 mm, provenant de l'artillerie française, tombent à hauteur de la route Bezonvaux-Ornes.
    21 h 45: Devant la résistance de la C.M. 9/3e bataillon (capitaine de réserve Hu), l'infanterie allemande ne peut déboucher sur le plateau à l'est de Douaumont, offrant des vues sur le fort.
    22 h-22 h 15 : Un ordre de repli parvient aux com¬mandants des bataillons, qui le répercutent aux compagnies : le 1er peut l'exécuter sans difficultés ; le 3e parvient à se dégager avec peu de dommages ; le 2e exécute le mouvement sans la C.M. 6 : elle est isolée depuis le début de l'après-midi et il paraît qu'elle ne peut pas être jointe (ce qui est en contradiction avec le témoignage de son capitaine affirmant qu'il a reçu, à 23 h 30, confirmation de l'ordre de tenir sur place).
    23 h 00 : L'adjudant-chef Nydegger, qui se replie avec sa section, retrouve son commandant de compagnie (3e C.E.F.V.), le capitaine Veron, et lui fait un compte rendu.
    23 h 30: Le commandant de la C.M. 6 reçoit du commandant du 2e/132 R.I.E la confirmation de sa mission (tenir sur sa L.P.R.), malgré l'absence signalée des voisins.Sur ces événements, on dispose d'un autre éclairage grâce au témoignage du capitaine Laugeri, l'officier qui commande la batterie antichars:
    « (14 juin) A Bezonvaux la résistance subit, dans l'après-midi, de violents bombardements d'artillerie ennemie et repousse de furieuses attaques... (15 juin) J'apprends en outre par des officiers du régiment auquel la section du sous-lieutenant Bouille a été rattachée, que, sérieusement accroché à Bezon vaux et pris sous des tirs d'armes automatiques, le personnel de ce point d'appui n'avait pu ramener le matériel lourd. Vers 17 H.30, je croise sur la route Rupt-Génicourt le sous-lieutenant Bouillie qui, verbalement, me fait le compte rendu suivant : « Le 14 au matin je me suis présenté au colonel. Celui-ci m'a mis sous les ordres du chef de bataillon qui doit organiser un centre de résistance dans Bezon vaux et dans le bois à l'Ouest. Suivant la mission reçue, j'ai installé les deux pièces de 47 à deux cents mètres d'intervalle à la sortie nord de Bezonvaux qui n'est plus qu'un amas de ruines. Dans l'après-midi, peut-être vers 17 heures, j'ai vu des hommes qui descendaient en file indienne de part et d'autre de la route Gremilly-Bezonvaux. J'ai remarqué ensuite à la jumelle que ce n'était pas des Français. Je me suis inquiété de constater que notre infanterie ne bougeait pas. J'ai observé de nouveau à la jumelle et je me suis aperçu que c'était bien des Allemands. Ils étaient à 200 mètres, j'ai ouvert le feu. Deux auto-mitrailleuses ont été détruites avec le 47. Peu de temps après nous avons été bombardés. L'ennemi a tenté de nous déborder en s'infiltrant dans les bois, la lutte s'est poursuivie toujours plus âpre. Le point d'appui de Bezonvaux a tenu quoique sérieusement mitraillé. Vers 22 heures, j'ai reçu l'ordre du chef de bataillon de me replier. Impossible de ramener les pièces car, sous la mitraille, je ne pouvais songer à faire amener les avant-trains. Les hommes ont quitté la position un à un, un servant a été blessé. Le personnel de l'autre pièce et le brigadier de Vinais ne m'ont pas rejoint. A l'emplacement des avant-trains, je n'ai pas retrouvé les conducteurs. Je me suis donc replié avec les quelques hommes qui sont ici avec moi.Je lui demande de me faire un compte rendu détaillé sur les événements quise sont déroulés à Bezonvaux. Ce compte rendu est remis au Général ».
    La section du sous-lieutenant Bouille compte effectivement quatre morts : le brigadier de Vinols, les canonniers Chaillouet et Faivre, ainsi qu'un inconnu.
    Pour revenir à la C.M. 6 qui a reçu l'ordre de tenir à tout prix, abandonnée, elle reste sur ses positions dans la nuit du 14 au 15. Au petit jour, vers 5 h 30, elle est attaquée par des forces inférieures en nombre, mais qui montent en puissance et finissent par être supérieures. Néanmoins, elle se maintient sur place jusqu'à 9 h 30. Prise alors à revers en même temps qu'elle est fixée de front, elle est ensuite, dans les deux heures suivantes, réduite et capturée par fractions qui se défendent jusqu'au bout. En effet, arrivés au lieu-dit La Potence vers 10 heures, les Allemands se déplacent vers le bois des Caurrières et débordent ainsi l'unité par sa gauche. A plusieurs reprises, ils tentent d'aborder de front la section du lieutenant Serré (S.M. 1). En outre, les feux de la section du lieutenant Duval (S.M. 2) battent efficacement la bande découverte au-dessus de la crête militaire de La Potence, empêchant toute progression de l'adversaire. Cependant, un autre groupe d'assaillants a découvert un cheminement par lequel, discrètement, il tente de s'infiltrer. Il est alors pris à partie par le caporal-chef comptable Dewaelle (2e groupe-Ravitaillement et services de la section de commandement) qui se trouve à côté du commandant de compagnie. Le tir précis de ce gradé arrête le groupe et des cris de douleur se font entendre. La riposte allemande est immédiate ; les balles claquent. Le capitaine donne l'ordre de se replier, mais Dewaelle, dans son ardeur, veut encore tirer : il est tué net sans pousser la moindre plainte. Le capitaine se rend alors à la section Duval, dont les pièces tirent maintenant sans arrêt. Il y reste une dizaine de minutes puis se dirige vers les deux sections de mitrailleuses (Serré, S.M.1, et Keller, S.M.3) qui se trouvent à droite. Arrivé dans le layon à une trentaine de mètres du lieutenant, il s'arrête pour observer le groupe de voltigeurs du sergent Parcheminier (2 groupe de la section de fusiliers-voltigeurs) ; une grenade à manche lui arrive entre les jambes tandis que d'autres tombent sur les mitrailleurs. Il évite l'engin qui éclate sans le blesser, sort son pistolet et tire dans un taillis dans la direction probable des agresseurs. Il décide de prévenir les deux autres sections de mitrailleuses de l'infiltration ennemie. Or, contrairement à ce que croit le capitaine d'après l'observation du glissement continu de l'ennemi le long de la crête militaire de La Potence, les assaillants sont venus, non par la gauche mais par la droite, affaiblie par le départ des deux tiers des hommes de la section Keller. Aussi, en dépit de son élan, le capitaine ne fait pas plus de 50 à 6a mètres : les Allemands sont sur le layon et, après une courte lutte, ils le tiennent sous la menace de leurs fusils. Il est conduit au point où les hommes déjà capturés sont rassemblés. Il retrouve Serré et Keller (qui est légèrement blessé) ainsi que 64 hommes. Entre-temps, les assaillants ont réduit le reste de la section Keller puis pris à revers celle du lieutenant Duval sur laquelle ils ont bondi. La résistance cesse vers 11 heures. Ainsi est consommée la perte de la 6' compagnie, isolée dans un environnement boisé inextricable, ignorant complètement les intentions de ses supérieurs et faisant front à l'adversaire où elle se trouve. Avec ses hommes, animés semble-t-il d'un excellent moral, elle se défend jusqu'à épuisement de ses munitions d'armes automatiques. Elle oppose une telle ténacité que l'adversaire met plus de cinq heures pour venir à bout de sa résistance : celle-ci focalise son attention et permet aux autres unités du régiment d'éviter une déroute complète. Le déroulement du combat des 14-15 juin à Bezonvaux, reconstitué à partir des historiques et des témoignages des survivants, ne semble pas correspondre aux rumeurs colportées par certains. Quant à la narration figurant dans « Les combattants du 18 juin » de Roger Bruge, sa brièveté ne fait pas apparaître le courage de ceux qui ont tenu sans faiblir :
    « Au nord-est de Douaumont le 132e R.I.F. du lieutenant-colonel Blanchet se bat vers Bezonvaux où il laisse vingt-cinq tués, ce qui n'empêche pas des abandons de poste de se produire sous les coups de l'artillerie allemande, en particulier à la C.M. 6 du capitaine Davrainville où trois mitrailleuses sur quatre sont désertées. La quatrième se tait lorsque le caporal Robinet qui la servait est tué sur la pièce ».
    En tout état de cause, un ennemi bien supérieur en nombre et en matériels est arrêté pendant plus d'une demi-journée par le 132e R.I., essentiellement le 2e bataillon, en dépit d'un faible soutien de l'artillerie française.

    LES SUITES DU COMBAT DES 14-15 JUIN


    Les pertes françaises de l'engagement de Bezonvaux s'élève à 24 tués : 607e batterie anti-chars : brigadier Jean de Vinols canonniers Jean Chaillouet, André Faivre et un inconnu.132e R.I.F. - C.M. 6/2e bataillon : caporal-chef Robert Dewaelle ; caporal Adrien Robinet ; soldats Marcel Blaison, Pierre Ducrocq, Joseph Gaudriller, Louis Robin, Pierre Soiron. - 3e C.E.F.V./3e bataillon : sergents Raymond Bruyant, Maurice Leenens, Robert Varetcaporal-chef Lucien Moncomble ; caporal Gaston Viet soldats Armand Bizart, Désiré Dorangeville, Marcel Fradet, Edmond Gillet, Nicolas Guiot, René Mismaque, Albert Schneider, René Staath.En outre, deux soldat doivent être ajoutés à cette liste : d'une part un certain Haran dont le nom figure sur une annexe au rapport du capitaine Davrainville2', commandant la C.M. 6, en tant que tué le 15 juin, d'autre part André Robert de la C.M. 9/3e bataillon. Celui-ci aurait été fusillé par les Allemands lors de sa capture ou tué à Ornes alors que, captif, il tentait de s'échapper d'une colonne de prisonniers. Ce malheureux a été enterré sommairement par un prisonnier français en bordure de la route Bezonvaux-Ornes (sur le territoire de cette commune), à hauteur d'une fontaine.Parmi toutes ces victimes figurent deux Meusiens : Adrien Robinet de Montzéville et Louis Robin d'Etain. Le 8 décembre 1943, une citation est décernée à trois de ces morts :
    - Brigadier Jean de Vinols : « Fortement attaqué par des éléments d'infanterie, n'a pas hésité à prendre lui-même un fusil-mitrailleur et a infligé à l'ennemi de lourdes pertes. Par sa bravoure, a su s'imposer aux hommes de sa pièce ; est tombé à son poste mortellement blessé ».
    - Caporal Gaston Viet : « Gradé très énergique et très brave. Le 14 juin 1940, au cours d'une violente attaque allemande près de Bezonvaux, a su, malgré un tir d'artillerie très meurtrier, maintenir intacte la position qui lui était confiée, donnant à ses hommes l'exemple du calme et du sang-froid, et infligeant à l'ennemi des pertes sévères. A été mortellement blessé à son poste de combat ».
    - Soldat Louis Robin : « Soldat brave et courageux. Le 14juin 1940, au cours d'une attaque allemande près de Bezonvaux, a fait preuve d'un calme et d'un courage remarquable sous un tir d'artillerie. A été mortellement blessé à son poste de combat ».
    Ces citations portent attribution de la Croix de guerre avec étoile d'argent.Les cadavres des soldats français tombés les 14-15 juin 1940 sont découverts à la fin du mois, lorsque la population des villages voisins de Bezonvaux revient après son départ précipité. Ils sont convenablement inhumés sur place, vers le 5 juillet, par les soins de l'armée allemande à qui ils ont été signalés. Jean de Vinols et Jean Chaillouet sont enterrés dans un même trou d'obus, à 100 mètres derrière le monument aux morts de Bezonvaux. Le corps de Robert Dewaelle est retrouvé le 23 septembre, celui de Louis Robin en octobre 1940. Ils sont enterrés sur place individuellement. En décembre 1940 et mars 1941, à l'initiative des familles, les restes de Robert Dewaelle et André Faivre sont transférés dans le cimetière communal de Dieppe-sous-Douaumont. Du 26 mars au 19 avril 1941, toutes les autres dépouilles sont exhumées en présence de militaires allemands ; elles sont rassemblées dans la chapelle de Bezonvaux en présence d'un prêtre ; elles sont ensuite réinhumées au cimetière national de Bras. Le représentant du maire de Bezonvaux à ces opérations est Henri Masson, instituteur-secrétaire de mairie à Dieppe (il constituera ultérieurement une importante documentation sur le combat de Bezonvaux et les militaires qui sont tombés à cette occasion). Joseph Gaudriller est exhumé le 1 juillet 1942 pour être réinhumé à Bras. La trace d'André Robert, sans doute perdue puisqu'il est déclaré disparu en 1947, est retrouvée en 1949, époque à laquelle sa sépulture est attestée par le service compétent. Ses restes sont rendus à ses proches en 1950. Sur l'ensemble des corps enterrés à Bras, 17 sont remis aux famille en 1948 et un en 1949.

    La seconde Guerre Mondiale

    La 71.I.D du 11 au 14 juin 1940

    L'ACCROCHAGE DE BEZONVAUX VU PAR LES ALLEMANDS .
     
    Du côté allemand, l'engagement de Bezonvaux est un combat de rencontre dans le cadre d'une opération d'ensemble : la prise des avancées de Verdun. Un des deux régiments d'infanterie de la 71.I.D., l'I.R. 211, est chargé, à partir d'Azannes, d'atteindre les forts de Vaux et Douaumont. Les détails d'exécution de cette ample manoeuvre n'ont pas retenu l'attention des échelons hiérarchiques allemands et certaines péripéties sont ignorées : par exemple, les premières prises de contact du 14 après-midi, avec la perte de blindés. Sous l'effet d'une différence d'interprétation des événements et du décalage horaire entre l'heure française et l'heure allemande, le déroulement reconstitué ne coïncide pas parfaitement avec le récit du côté français.
    Le 14 juin, la 71.I.D. se rapproche du front nord de la ceinture fortifiée de Verdun, sur la rive orientale de la Meuse. Elle progresse sur deux axes principaux : à l'Ouest, venant de Stenay et Dun, par Sivry, Consenvoye, Brabant et Samogneux, l'I.R. 194 ; à l'Est, venant de Montmédy, Remoiville et Jametz, par Damvillers, Gibercy et Azannes, l'I.R. 211.
    Vers midi, l'I.R. 194 est engagé dans la région Samogneux-cote 344 et le II./I.R. 211 arrive devant Azannes. Cette unité est soutenue par une section de la 14e compagnie du 211e groupement de chasseurs mécanisés (14./Panzer-Jâger 211) et les batteries motorisées du 446e groupe d'artillerie lourde (schwere Artillerie-Abteilung 446). Le commandant de la 71.I.D. donne alors l'ordre à l'I.R. 194 de s'emparer de la côte du Talou et à l'I.R. 211 d'occuper les forts de Douaumont et Vaux.
    Pour l'I.R. 211, la journée est consacrée à une progression épuisante, sur une route barrée par des cratères, destructions ou obstacles, dans un environnement de hauteurs limitant les vues et de lisières de forêts. II a des engagements rapides mais vifs non loin de Grémilly puis d'Ornes ; à noter qu'ultérieurement les cadavres de 12 Français morts seront retrouvés près d'Azannes. A proximité de cette localité, 7 officiers et 200 hommes sont capturés par le II./I.R.211. Ensuite, l'I.R. 211 se trouve vers 20 heures (heure allemande) au sud d'Ornes : le lu bataillon arrivé à hauteur et à gauche du IIe se tient prêt à poursuivre l'avance. En dépit de grandes difficultés, le régiment attaque vers 21 heures (heure allemande), après que le le' gr./171e régiment d'artillerie O./A.R. 171) et le schwere Artillerie-Abteilung 446 aient été en mesure de l'appuyer : ces deux unités sont maintenant prêtes à bombarder les positions avancées aménagées dans les bois au sud d'Ornes. A droite progresse le II./I.R.211 qui a pour objectif le fort de Douaumont ; à gauche se trouve le I./I.R.211 qui vise celui de Vaux. Le mouvement du régiment est appuyé par l'artillerie citée précédemment et couvert par le détachement de reconnaissance divisionnaire (Divisions-Aufklârungs-Abteilung) ainsi que la 3./Panzer-Jàger 211. Après le franchissement du pont détruit près d'Ornes, le II./I.R. 211 repousse l'adversaire près de Bezonvaux, d'abord seul, plus tard avec le I./I.R.211. Les Français occupent alors une ligne courant au bas de la pente boisée près de Bezonvaux. Vers minuit (heure allemande), le régiment a réussi à progresser en direction des hauteurs. Il est en position favorable pour attaquer les forts de la rive droite de la Meuse le jour suivant.
    Ce même soir du 14, la division ordonne que, le lendemain matin de bonne heure, des troupes de choc possédant une forte puissance offensive et accompagnées de soldats du génie, soient envoyés à Bras, sur la côte de Froideterre en passant par la côte du Poivre et contre le fort de Douaumont. Les deux régiments de la division doivent saisir toutes les opportunités pour améliorer leurs positions de débouché ultérieur, en vue de permettre la prise des points d'appui ennemis et des forts. Le bilan de la division pour cette journée est de 10 officiers et plus de 900 sous-officiers ou soldats capturés. En revanche, ses pertes sont faibles : onze tués dont un officier et 101 blessés dont trois officiers. Même si elles sont minorées, on est loin de celles données par des sources reposant sur des témoignages : rien que pour le combat de Bezonvaux, elles se montaient à 600 ou 700 hommes, dont les cadavres auraient été rapidement incinérés.
    Le 15, de bonne heure, l'I.R.211 lance son attaque à partir des hauteurs de Bezonvaux autrefois si disputées ; il y a à droite le II./I.R.211 qui se dirige vers le fort de Douaumont, à gauche le I./I.R.211 qui avance vers celui de Vaux. Le III./I.R.211 reçoit la mission de ratisser le terrain en direction du sud, entre le régiment voisin vers l'Ouest et l'I.R.211 ; il s'agit d'éliminer une éventuelle menace de flanc. Le détachement de reconnaissance de la division doit attaquer par Dieppe pour gagner la route Verdun-Etain et couvrir le flanc est de l'I.R.211. En progressant vers le fort de Douaumont, le II./I.R.211 fait des prisonniers dans la zone ravin d'Hassoule-Hardaumont (2 officiers et 64 hommes, ce qui semble correspondre à la C.M.6/132e R.I.F.). Pour 9 h 15, le fort de Vaux est pris, pour 11 h 45 c'est le tour de celui de Douaumont. Le II./I.R. 211 a subi des pertes : 8 tués dont un officier et 25 blessés. Pour le 15 juin, celles de la division autour de Verdun sont de 17 morts dont un officier et 99 blessés dont quatre officiers.